Fin juillet, avec les barrages routiers mis en place par les éleveurs, on a vu Xavier Beulin, patron de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles), intervenir à plusieurs reprises dans les médias. « Faciles et démagogiques, ces attaques fleurissent et veulent nous toucher, me toucher. C’est mal connaître les paysans qui savent si bien reconnaître le bon grain de l’ivraie ! » a-t-il écrit le 28 juillet dans sa lettre ouverte aux paysans. Eh oui, il a raison, les paysans le savent, d’ailleurs, ils commencent à témoigner de leur désaccord avec lui. La situation qui a mené les éleveurs à faire des barrages routiers partout en France « est issue non pas d’une crise, comme tu le répètes, si souvent, mais d’une politique parfaitement orchestrée que tes prédécesseurs se sont appliqués à construire et que tu continues à appliquer, » lui a répondu Bernard Lannes, président de la Coordination Rurale Union Nationale. Il lui fait également remarquer que certains entreprises du groupe Avril, dont Xavier Beulin est le président, importent des « minerais agricoles » étrangers pour produire à moindre coût et déstructurent par la même notre agriculture. Alors, poursuit-il, « je crains que nous ne puissions pas compter sur toi pour que priment les intérêts humains face aux purs intérêts financiers. » et pour finir : « Nous ne pouvons pas aller plus loin, nous n’avons simplement plus d’avenir avec le modèle économique que tu défends ».
☞ Cette contestation de l’intérieur est une très bonne nouvelle même si cela ne suffira sans doute pas à contrer les objectifs de Xavier Beulin. Je vous ai déjà parlé de lui lorsqu’il a organisé son « Open Agrifood » à Orléans les 20 et 21 novembre 2014. Ce forum international avait pour but affirmé de mettre en place la « 3ème révolution agricole et alimentaire », rien que ça! A vrai dire cela signifie une agriculture sans agriculteurs et un modèle alimentaire avec de la chimie, des OGM, des fermes de mille vaches… le tout passé à la moulinette d’une industrie de transformation « innovante et compétitive ».
De fait, Xavier Beulin s’est tissé un réseau arachnéen qui lui donne tous les pouvoirs dans le monde agricole et agrolimentaire français. Il est partout. La liste de ses titres est impressionnante : président de la FNSEA, premier syndicat agricole français, vice-président du syndicat agricole majoritaire représenté à Bruxelles, le Copa-Cogeca, président l’EOA, l’alliance européenne des oléo-protéagineux, vice-président du CETIOM (un institut de recherche spécialisé dans les filières oléagineuses), vice-président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles du Loiret, président du Conseil économique, social et environnemental du Centre, secrétaire-adjoint de la Chambre régionale d’agriculture du Centre.
Barnabé Binctin et Laure Chanon, journalistes à Reporterre, ont enquêté sur « le maître caché de l’agriculture française ». Le résultat de leur investigation a donné lieu au premier numéro papier de Reporterre publié en avril 2015. La lecture est édifiante. Les deux journalistes montrent comment Xavier Beulin et le groupe Sofiprotéol rebaptisé Avril en janvier 2015 impose une agro-industrie avec peu de travailleurs maximisant le profit des grandes entreprises. Leader de plusieurs filières, Avril est un des opérateurs les plus puissant de l’agro-industrie française. Il assoit son hégémonie en diversifiant toujours plus ses activités et ouvre ses ambitions à l’international plus exactement, le continent africain. Selon Atac, le groupe est « la pieuvre de l’agro-industrie française », une pieuvre déployant ses tentacules dans tout l’univers agricole. Comment cet empire a-t-il pu se constituer ?
« Le groupe Avril-Sofiprotéol n’est pas seulement un acteur industriel : il est aussi un des principaux financeurs de l’agriculture française, peut-t-on lire dans Reporterre. Comment? Par son activité en tant que fonds d’investissement, et qui vaut à Sofiprotéol de continuer d’exister en tant que tel dans le nouvel organigramme d’Avril. A sa naissance, Sofiprotéol a d’abord été constitué comme un établissement financier, appelé à gérer les fonds de la filière oléoprotéagineuse. D’où viennent ces fonds? Des « contributions volontaires obligatoires » (CVO) versées par les producteurs d’oléoprotéagineux. Oui, oui, vous avez bien lu, des prélèvements « volontaires-obligatoires » ! » D’ailleurs, Bernard Lannes demande : « Les destinées de la société Avril (Sofiprotéol), que tu présides, sont-elles bien celles que les agriculteurs ont voulues en cotisant « volontairement et obligatoirement » pour construire cet outil qui contrarie leurs intérêts? ». Le rapport de la Cour des Comptes de 2002 est d’ailleurs clair : « La légalité tant nationale que communautaire du financement d’opérations d’investissement au moyen de « cotisation volontaires obligatoires » apparaît douteuse à plusieurs titres. »
La montée en puissance du groupe Sofiprotéol est liée aux agro-carburants. Naguère présentés comme une solution écologique, les carburants tirés des plantes (ici le colza) se sont révélés nuisibles sur le plan de l’environnement et inefficaces face au changement climatique. Cela n’a pas empêché Xavier Beulin d’engager, en 2013, près de 500 000 € en lobbying pour influencer les bureaucrates et parlementaires de Bruxelles et… il a gagné!
La part obligatoire d’agro-carburant dans le diesel est de 7% en France alors qu’elle est 5,75 % pour les autres pays d’Europe. Par ailleurs, les distributeurs qui ne respectent pas la règle doivent payer une taxe très élevées. Les fabricants de diesel achètent donc du Diester contraints et forcés. En situation de monopole et bénéficiant d’un précieux avantage fiscal, Sofiprofitéol profite donc largement de la filière qui, selon la Cour des comptes, a déjà coûté au final à l’État 1,29 milliard d’euros, les deniers du peuple donc!
La trituration qui transforme le grain de colza ou de tournesol en huile végétale, laisse un coproduit, le tourteau. Pour une tonne de graine, on obtient 560 kg de tourteaux. Avec la production de Diester, c’est donc un volume conséquent de tourteaux qu’il faut écouler. Et là, le génial Xavier Beulin a proposé de donner au bétail des tourteaux de colza plutôt que des tourteaux de soja importés: c’est plus écologique!!! Les décideurs à qui il a présenté son projet n’ont pas pensé que le plus écologique restait quand même l’herbe et le foin! Xavier Beulin utilise effrontément l’argument écologique pour arriver à ses fins qui, elles, sont totalement non écologiques.
Les chercheurs de l’INRA lui ont donc prêté main forte pour mettre au point un produit consommable par les vaches, notamment les laitières qui ont besoin de beaucoup de protéines pour produire plus de lait. Et c’est ainsi que Sofiprotéol est devenu leader dans la production d’aliments pour bétail. Dans le même temps, lors de la crise du lait en 2008, un fonds interprofessionnel laitier se crée, le Fedil, doté de 15 millions d’euros, pour soutenir la filière laitière géré par… Sofiprotéol ! Enfin, en devenant le patron de la FNSEA, c’est tout le réseau des chambres d’agriculture qui tombent sous le pouvoir de Xavier Beulin car, en effet, c’est la FNSEA qui les gèrent!!! Et voilà, la boucle est bouclée.
« Si Sofiprotéol a bâti sa fortune sur les agrocarburants bien aidés par les pouvoirs publics, il assied désormais sa puissance dans le monde agricole par l’élevage, écrivent Barnabé Binctin et Laure Chanon. Rebondissant sur la crise du lait, il s’est positionné comme le leader de l’alimentation animale et favorise le développement des fermes-usines pour écouler ses stocks. Avec une nouvelle astuce pour faire accepter le tout : la méthanisation, nouvelle énergie propre à la mode. »
On comprend mieux pourquoi Xavier Beulin prône les fermes usines. Plus le troupeau de laitières est important, plus c’est compliqué de gérer la mise au pré. La tendance est donc de les laisser à l’étable. Elle ne mange plus du tout d’herbe et consomme donc beaucoup de tourteaux de colza, ce qui ne leur convient pas vraiment au niveau digestif ce qui provoquent ces gaz qui servent à la méthanisation. Le processus est en marche : le gouvernement a adopté un plan de méthanisation, doté de 2 milliards d’euros, visant milles fermes avec méthanisateurs d’ici 2020. Xavier Beulin, avec son sens des affaires habituel, a vu immédiatement là, une nouvelle voie lucrative. Vu ses entrées dans les ministères, il est probablement pour quelque chose dans la mesure gouvernementale qui ne touchera que les gros élevages enfonçant un peu plus les petits. En tout cas, Sofiprotéol a investi dans les entreprises de méthanisation Biogasyl et Fertigaz et a pris part dans un fonds d’investissement notamment tourné vers la méthanisation.
En conclusion, nos deux journalistes de Reporterre, rappelle le bilan catastrosphique : en vingt ans, le nombre d’exploitations agricoles a baissé de moitié et le gaspillage des terre a continué à un rythme effréné avec la perte de 1,7 millions d’hectares de terres agricole. Par ailleurs, l’agriculture est de plus en plus polluante en terme d’engrais, de pesticides et de gaspillage de l’eau. « Une nouvelle fois, ce désastre sociale et environnemental est rendu possible par une profonde défaillance de nos systèmes démocratiques, écrivent-ils. Le cas Beulin et l’histoire de Sofiprotéol sont à ce titre un exemple parfait d’une oligarchie qui ne dit jamais son nom. Mais qui continue à détruire le pays. »
Que pouvons-nous faire ? Beaucoup plus qu’il n’y paraît en boycottant tout simplement les produits d’Avril-Sofiprotéol des gammes Lesieur, Puget et Matines (œufs) qui appartiennent au groupe, en abandonnant si ce n’est déjà fait son véhicule diesel pour une voiture essence, et en consommant bio et/ou local (circuits courts), ce qui favorisera le maintien de fermes à dimensions humaines.
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Je vous recommande vivement de visiter régulièrement le site de Reporterre. Hervé Kempf a fondé un vrai outil indépendant. Lui et les journalistes qui l’entourent, réalisent leur travail en toute liberté, ce qui garantit une information de qualité.
☞ www.reporterre.net
☞ Lettre ouverte aux paysans de Xavier Beulin
☞ Lettre de Bernard Lannes en réponse à Xavier Beulin
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09/08/2015 © Danièle Boone – Toute utilisation même partielle du texte est soumise à autorisation.