Ecolos bernés

Essai de maïs PR38N86 (Pioneer) © Danièle Boone

Il y a quelques temps, j’avais remarqué une parcelle de maïs sur une très jolie petite route de campagne que j’emprunte régulièrement. Il y en a peu par chez moi. Je me suis dit, c’est malin avec cette sécheresse de cultiver cette plante si gourmande en eau. Mais hier, j’ai eu un choc avec ce panneau provocateur qui m’a carrément énervée ! Comme me l’a fait remarqué un de mes lecteurs, contrairement à ce que j’avais pensé, il ne s’agissait pas d’un essai d’OGM mais de maïs hybride. Ce type de panneau est ambigüe pour les personnes non averties. Ils sont destinés, en fait, à préparer les mentalités à l’acceptation des OGM.  De la pub donc! ‘Mais à l’heure de l’épigénétique, on sait que la manipulation génétique ne peut être gagnante puisque, finalement, rien n’est définitivement inscrit.

☞ L’accumulation d’un ensemble de petits faits de ce genre me semblent autant de symptômes du recul écologique. De fait, voilà très longtemps que je songe à écrire cet article, très précisément depuis le dernier festival du film d’environnement de Paris, donc à la fin du mois de novembre dernier.  J’étais allée voir « Small is beautiful ». Le hasard m’a fait m’asseoir auprès de Pascale d’Erm, une consœur que j’apprécie beaucoup. Elle a écrit, entre autres, « Vivre plus lentement », « Se régénérer grâce à la nature » et « Vivre ensemble autrement ». « On est en train de se faire avoir, me confia-t-elle. Tu as remarqué comme la bio est dévalorisée. On en a fait un produit pour les bobos alors que ceux qui en sont à l’origine, c’est pas ça ». J’avais fait la même constatation alors, depuis notre rencontre et le fait d’en avoir discuté, ça trotte dans ma tête. Faut réagir!

Dans ce film, on parle beaucoup de lobbying, comment ça marche. Et d’un coup, je me suis dit, le problème avec les écolos sincères, c’est qu’ils n’ont pas su construire d’argumentaires pour convaincre. Pour eux, c’était tellement évident. Les (boni)menteurs sont tellement meilleurs. Il y a très longtemps, j’ai fait un détour par la pub. Inventer des concepts peut paraître un jeu intellectuel très amusant, une sorte de pocker des mots. On bluffe. J’étais douée paraît-il mais je me sentais mal à l’aise. Au bout de trois mois, j’ai pris mes cliques et mes claques, et j’ai salué la compagnie. Adieu la poule aux œufs d’or, et vive la liberté d’être soi avec les fins de mois difficiles ! Il faut parfois être stoïque pour résister aux tentations des feux de la rampe. Je plaisante. Bref, ouvrons l’œil et observons: nous sommes en train de nous faire berner !

Pour en revenir à la bio, il fut un temps – très court – où ses prix se rapprochèrent des produits de l’agriculture intensive. Et je m’en suis personnellement réjouie ! C’était sans compter avec le pouvoir de phagocytage des « gros ». La bio plaît, de plus en plus de consommateurs se laissent tenter. Y’a des sous à faire, ont du se dire les champions du marché. Et pfffft, les prix sont repartis à la hausse. Et youp là, t’as pas le sous, tant pis pour toi. T’as le sous, mange sain, mange bio. La santé ça se paye. Merci Monoprix qui commence par mettre du bio dans tous ses rayons – c’est démocratique – et finit par racheter Naturalia. Tiens donc, depuis, tous les petits producteurs qui ne s’alignent pas sur les prix imposés par le groupe sont exclus. Et pendant ce temps, pour répondre au besoin du marché, la bio industrielle gagne du terrain. Sûre, elle remplit le cahier des charges : pas de pesticides, pas d’engrais chimiques. Et en plus, les exigences ont été revues à la baisse par l’Europe. Alors, du côté d’Almeria, au milieu de la mer de plastique, on trouve d’authentiques fraises bio sur… 3 hectares ! Esprit bio, où es-tu ? C’était tellement évident que pour les agriculteurs pionniers des années soixante-dix, la bio c’était aussi un choix de vie qu’ils ont omis de l’inscrire dans leur charte. Et les voilà bernés ! Comme nous, les consommateurs de longues dates qui nous retrouvons avec des tomates, certes bio, mais sans aucun goût et des graines germées (ou les concombres, de toute façon, c’est pareil) bourrées de Escherichia Coli!

Autre poncif qui a l’art de m’agacer, le bio ne peut pas nourrir le monde. Tiens donc, la FAO a publié un rapport en juin 2007 comme quoi l’agriculture biologique peut et est la seule à pouvoir nourrir le monde. Six mois plus tard, démenti. Question : qui finance la FAO ? Je n’ai pas la réponse et ce n’est pas mon propos, mais gageons que les ogres de la semence qui rêvent de mettre la main sur tout le vivant et sont en passe d’y parvenir ont bien du participer à la pression. Le sapage des avancées écologiques des années 1990 fonctionne bien, même très bien. Dans la tête de monsieur tout le monde, le bio est réservé aux nantis qui ont des moyens pour se l’offrir. Bref, notre image est devenue catastrophique. Et ce n’est pas Qui a tué l’écologie, le livre de Fabrice Nicolino, un écolo hyper sincère, qui va redorer notre blason. Ce que dénonce Nicolino avec raison, c’est justement ce fameux phagocytage de l’écologie par les faiseurs de frics, les irrespectueux de la nature et de l’humanité qui ne savent qu’afficher leur satisfaction égocentrique et le mépris des autres. N’empêche que dans les esprits nébuleux, la confusion des genres se fait. Bref, la dévalorisation de l’écologie est un fait. Alors en face, comme on se sent plus fort, l’arrogance est au rendez-vous : cette pancarte de Pioneer, les chasseurs qui enseignent la nature dans les écoles, l’élection à la tête de la FNSEA de Xavier Beulin, céréalier et patron de la filière biocarburant en France, les spéculations boursières sur les aliments de base, etc. Il y a peu, on regardait encore les écolos avec sympathie. Nous étions de doux rêveurs pas dangereux, des idéalistes qui repeignaient la vie en vert. Aujourd’hui, nous sommes les empêcheurs de tourner en ronds, les pessimistes, ceux qui veulent revenir en arrière. Et nous n’en sommes qu’au début, l’image des écologistes et de l’écologie est travaillée à la baisse par des lobbyistes très efficaces. Aux Etats-Unis, la phase suivante est amorcée: les écologistes sont en passe de devenir les nouveaux boucs émissaires. Il est donc urgent de se réorganiser et surtout de ne pas baisser les bras. Des paysans (j’aime ce mot banni des administrations) travaillent à une nouvelle charte bio pour faire reconnaître leur travail de trente ans pour certains et pour défendre le droit à la vie tout simplement et, en regardant autour de soi, on s’aperçoit que finalement, il y a plein de gens déjà en marche, qui ont dit  non. Il ne faut pas avoir peur de prendre des chemins différents. L’Histoire avec un grand « H » donne toujours raison à ceux qui osent s’opposer pour une juste cause. Les résistants de la seconde guerre mondiale ne sont-ils pas devenus des héros? Notre combat ressemble au travail sans fin de Sisyphe mais, comme le disait si bien le grand poète iranien Hafez, « Ne perd jamais l’espoir car la moëlle la plus exquise se trouve dans l’os le plus dur ». 

Pour aller plus loin:
Le blog des EcoMamans, association dont Pascale d’Erm est présidente
Small is beautiful pour voir la bande annonce et/ou commander le DVD
Le  lobbying en question – Pour en savoir plus sur le lobbying, (ré)écouter l’émission Terre à Terre du 4 juin
Planète sans visa, le blog de Fabrice Nicolino
Parler avec les arbres – un bel article d’Hervé Kempf paru dans Le Monde qui ramène à l’essence même de l’écologie

19/06/2011 © Danièle Boone – Toute utilisation même partielle du texte et des photos est soumise à autorisation

2 réflexions sur « Ecolos bernés »

  1. ces pancartes ne présentent pas en principe des parcelles OGM, mais simplement des cultures hybrides! Mais il est clair, qu’outre la pollution visuelle, elles sont là pour brouiller le message et faire accepter peu à peu les OGM! 2 ans que l’offensive pioneer est lancée… Je suis dégoûté!

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    Je ne savais pas que cette offensive avait commencé il y a deux ans. C’était la première fois que j’en voyais une mais depuis, dans mon département, j’en ai vu plusieurs autres.
    En fait, c’est une autre forme de lobbying qui touche pas seulement les politiques mais tout le monde. Halte à la manipulation – faites circuler l’info.

  2. c’est effectivement épouvantable… jusqu’où ira t on ? j’ai été sidérée de voir à la télé que les scientifiques se félicitaient d’avoir « génétiquement modifié » une vache pour qu’elle donne du lait s’approchant du lait maternel ! 🙁

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