Lancé à Uppsala, une grande ville universitaire du nord de la Suède, le 27 janvier dernier, ce programme d’envergure nous a été présenté ce matin lors d’une conférence de presse au Muséum d’histoire naturelle. À la tribune, d’éminents chercheurs du Museum et du CNRS ainsi que la directrice de l’OCHA, observatoire Cniel des habitudes alimentaires.
Sa présence en tant que représentante de l’industrie alimentaire a immédiatement marqué un bémol à mon enthousiasme. Je sais bien que la recherche pour la recherche, il y a longtemps que cela n’existe plus, hélas! Mais le jour même de l’anniversaire de Darwin, mon auto
réflexion prend tout sons sens. Ce grand homme a eu la chance d’être d’une famille aisée et donc de n’avoir pas eu besoin de gagner sa vie. On est en droit de se demander si, sans cette indépendance, il aurait eu le loisir de mener à bien sa théorie qui paraissait alors totalement extravagante et dont la justesse n’est apparue que bien des années après sa mort. Maintenant, les chercheurs sont tenus à des résultats exploitables rapidement par leur commanditaires ou tout au moins les principaux financiers de la recherche, c’est à dire, pour la majorité des programmes, l’industrie.
Malgré tout, même financée et exploitée par l’industrie, la recherche fait avancer nos connaissances d’autant que même si les résultats ne sont pas ceux qui étaient escomptés, ils sont publiés. Donc le propos du programme « Leche » concerne cette fameuse enzyme, la lactase, qui permet de digérer le lactose du lait. Tous les bébés la fabriquent mais une fois sevrés, le taux de lactase dégringole. Cela varie selon les individus. Certains adultes continuent à en produire suffisamment pour digérer le lait toute leur vie. Pourquoi? Après la présentation de l’ensemble du programme qui espère apporter une réponse ou un début de réponse à cette énigme, les questions de la salle, des journalistes de toutes spécialités, santé, nature, alimentation… avec en plus, la présence du professeur Philippe Marteau, un gastroentérologue, pour répondre à nos demandes d’ordre plus médical comme les symptômes et les conséquences de l’intolérance au lactose.
Et tout à coup, j’hallucine… Je réalise en entendant des questions simples mais concrètes, que tous ces éminents scientifiques de même que la dame qui représente l’industrie du lait, s’emmêlent les pinceaux tout simplement parce qu’ils ne connaissent pas le cycle biologique de la lactaction chez une « vraie » vache actuelle et comment il est utilisé, donc la base même de la l’exploitation laitière, leur étude!
C’est tout bête, la production de lait, chez tous les mammifères, y compris nous, est déclenchée à la naissance du petit par une hormone qui s’appelle la prolactine. Ensuite cette production de lait se poursuit s’il est tiré. Pareil chez la femme. Nos lointains ancêtres, les premiers éleveurs qui ont su s’approprier le lait de la vache, chèvre ou brebis ont bien du remarquer que, même le petit sevré, si ils continuaient à traire leurs bêtes, ils obtenaient du lait pendant encore un certain temps. Actuellement, une vache produit du lait sur 10 mois. Ensuite, il faut qu’elle ait de nouveau un veau pour que le processus se remette en marche. Pour info, aujourd’hui, on ne lui laisse son veau que le temps de têter le colostrum, ce premier « lait » produit par tous les mammifères et qui joue un rôle très important pour l’immunité. Ensuite, on se garde tout le lait pour notre consommation en lui filant en plus de quoi la booster pour qu’elle produise un maximum. Tout ce processus est en soi monstrueux mais c’est un autre sujet, celui de l’exploitation animale.
Pour revenir à « Leche », lorsque Anne Tresset, archéologue, conclut que le cycle de lactation de la vache néolithique n’était que de six mois contre toute l’année (sic) aujourd’hui, c’est peut-être une brillante démonstration qui repose sur des techniques super pointues qui permettent des analyses extraordinairement fines mais cette conclusion résulte d’une logique abstraite coupée de la connaissance basique du vivant. Pour être plus compréhensible, j’explique: cette dame a démontré scientifiquement que sur le site dit de Bercy, IVe siècle av. J.C. , il y avait un pic d’abattage des veaux à 6 mois. Sa conclusion: si on les tuait, c’est que la vache n’avait plus de lait, donc le cycle de lactation de ces vaches étaient de 6 mois.
Moi je propose une autre interprétation: à 6 mois, le veau est globalement sevré. Il doit se nourrir hors (ou en plus) du lait de sa mère mais c’est l’entrée de l’hiver. Peut-être que pour la société d’alors, c’est plus coûteux, pas forcément en argent mais en énergie ou en stock alimentaire, de le nourrir que de le tuer. Il semble que ces veaux tués soient plutôt des mâles (les recherches sont en cours) donc inutiles pour la production de lait future. Le fait qu’il y ait un pic
d’abattage ne permet pas d’affirmer que les vaches n’avaient plus de lait. Pourquoi nos ancêtres n’auraient pas continuer à traire leurs bêtes jusqu’à ce qu’elles soient taries?
Autre étonnement: tous ces scientifiques à la tribune étaient convaincus qu’en ce temps là la présence d’un veau tétant était nécessaire à la production du lait. Leur preuve: sur les bas reliefs et autres iconos parvenus jusqu’à nous, on voit toujours le veau!!! Autre argument: dans la nature, la lactation s’arrête quant le petit est sevré… Ben oui, dans la nature, il n’y a pas la main de l’homme pour continuer à tirer le lait. Heureusement, il y avait dans la salle, quelqu’un qui fait partie de Ocha qui connaissait bien et qui a expliqué exactement le processus que je viens de décrire. A un certain moment, les scientifiques ont souligné que nos questions (terre à terre, c’est moi qui souligne) étaient importantes, car ils n’y avaient pas pensé et qu’ils allaient y penser.
Ma conclusion, c’est qu’il est vraiment urgent que nos têtes pensantes se reconnectent à la vie en d’autres termes à la réalité. Aux derniers « mardi de l’environnement », à la fondation Paul Ricard, un scientifique du Muséum qui croit encore à la nécessité de l’observation de la nature dans la nature et pas seulement dans un laboratoire, a cité le cas d’un de ses confrères, biologiste spécialiste des oiseaux, capable de faire des trucs super pointus, genre décrypter le génome d’un merle, mais qui, dans le jardin des Plantes, ne reconnaît pas le chant d’un merle! De fait, l’hyper-spécialisation empêche de voir plus loin que le rond du microscope… Toute notre société est devenue abstraite à force de zoomer sur tout. Les décisions se prennent dans des bureaux loin, très loin du terrain…
Même bon nombres de paysans calculent maintenant sur leur ordinateur ce qu’ils doivent mettre comme engrais, herbicides, pesticides sans même regarder la terre de leur champ et les plantes qui y poussent. Vite, vite que les hommes de terrain et les naturalistes retrouvent une place parmi les scientifiques et aussi parmi les technocrates… S’il y en avait eu un parmi tous ces chercheurs de disciplines différentes, archéologie, paléontologie, biologie, zoologie… qui mettent leurs connaissances en commun pour faire avancer la science, on n’aurait pas oublier la vache, celle qui broute dans les champs!
11/04/2009 © Danièle Boone