Fabrice Nicolino enquête sur l’industrie chimique

Un empoisonnement universel, le nouveau livre de Fabrice Nicolino, traite de la contamination chimique généralisée qui nous est imposée par l’industrie chimique.  Lorsqu’on referme le livre, on est très en colère et, en même temps, on se sent très impuissant. Pourtant je vous le recommande car il est nécessaire de savoir comment on en est arrivé là.

Fabrice Nicolino part des origines, passant en revue les chimistes d’avant la chimie comme Empédocle, jusqu’à nos jours avec un passage obligé par les champs de bataille. Si la guerre de Sécession américaine a fait la fortune de la firme DuPont, l’horreur a pris d’autres proportions avec Fritz Haber. Ce chimiste allemand a été le premier, au début du XXème siècle, à réussir la synthèse de l’ammoniac qui a permis la production d’engrais agricoles mais aussi des fameux gaz de combat envoyés dans les tranchées de 14-18. Au lieu d’être jugé comme criminel de guerre, Haber a reçu le prix Nobel de chimie en 1918, certes pour la synthèse de l’ammoniac. Mais dans les années qui suivent, il continue tranquillement ses recherches et, c’est dans son laboratoire que sera inventé le Zyklon B, utilisé dans les chambres nazies.

Fabrice Nicolino dénonce cette impunité permanente qui caractérise l’industrie chimique. Au fil des pages, il nous entraîne de la guerre irako-iranienne des années 1980, de l’usine de Bhopal, en Inde, à celle d’AZF à Toulouse et son constat est accablant. Au nom du profit, l’industrie chimique a réussi peu à peu à empoisonner la terre et tous les êtres vivants qui la peuplent.  La stratégie de l’industrie de la chimie est parfaitement calculée et coordonnée et fonctionne de la même manière que celle de l’industrie du tabac dont les rouages sont aujourd’hui parfaitement connue grâce au livre de Naomi Oreskes et Erik M. Conway ou celui de Stéphane Foucart. Ces firmes maîtrisent parfaitement toutes les ficelles de la communication et du lobbying et sont parvenues à infiltrer à peu près tous les centres de décisions.

L’auteur pointe également le doigt sur l’explosion des dépenses dues aux conséquences de l’industrie chimique qui nous empoisonne au quotidien. Nul ne peut nier l’explosion de nature épidémique d’un certain nombre de maladies graves (cancer, Alzheimer) ainsi que de l’obésité. Un nombre croissant d’études sur les liens directs entre l’exposition aux polluants et le déclenchement de ces maladies. Il aborde également le sujet des perturbateurs endocriniens, expression forgée par la biologiste américiane, Theo Colborn, qui s’est rendu compte en étudiant la faune sauvage des Grands Lacs nord-américians, que les problèmes de fécondité se multipliaient. Depuis, on ne cesse de découvrir de nouvelles substances chimiques ayant des propriétés de perturbateurs.

On a d’autant plus raison de s’inquiéter que, dans l’état actuel des connaissances humaines et de nos moyens de contrôle et d’analyse, les impacts cumulés de l’exposition à plusieurs produits chimiques différents et de leurs rencontres aléatoires, reste quelque chose de fondamentalement inconnu. Que faire? Fabrice Nicolino montre à quel point le programme REACH présenté comme ambitieux est insuffisant. En effet, il ne traite que d’environ 30 000 substances sur les dizaines de millions qui existent. Quant aux normes comme la dose journalière admissible (DJA) sensées nous protégées, leurs calculs est très discutable.


Éditions Les Liens qui libèrent, 448 pages, 23 €


07/11/2014 © Danièle Boone – Toute utilisation même partielle du texte et des photos est soumise à autorisation