Connaissez-vous François Terrasson? C’était un chercheur du Museum National d’Histoire Naturelle, un homme libre qui n’a jamais céder aux trompettes de la renommée. Il est décédé en 2006. J’ai à peine eu le temps de le connaître. Nos souvenirs d’enfance vagabonde dans la campagne berrichonne se ressemblaient. Il avait écrit des sketches sur les berrichons qui résonnaient familièrement pour moi. Lors des conférences ou des débats, il posait toujours la bonne question. Elle n’avait pas forcément de réponse mais elle ouvrait à la réflexion. Alors, pour en savoir davantage, j’ai lu ses livres. On ne peut plus regarder les choses exactement de la même façon après avoir été confronté à la pensée de Terrasson.
En observant dans les années 1960-1970, les destructions infligées par l’homme à la nature, il a voulu comprendre. Et c’est devenu une évidence : « L’homme a tendance à détruire ce qui lui fait peur, ce qu’il sent étranger. »
« Tout le monde aime la nature de nos jours, écrit-t-il au début de La peur de la nature, enfin tout le monde le dit. » Mais de quelle nature s’agit-il ? Une nature sous cloche, bien maîtrisée, sans ronces, sans mauvaises herbes, sans spontanéité, avec des chemins et des panneaux pour ne pas s’y perdre, un grand jardin en quelque sorte. Mais, peut-on aimer dans la nature les aspects qui usuellement apparaissent comme rebutants ou agressifs (…) les serpents, les araignées, les mille-pattes, les « je-ne-sais-quoi » subtils et sournois qui vous tombent dans les cheveux, vous grimpent aux jambes, vous piquent, vous sucent, vous mordent de toute la puissance de leurs mandibules ?
Réservoir des forces émotionnelles, dans nos sociétés où l’expression émotive est plutôt découragée, l’inconscient est plein à ras bord.
Il a inventé les stages d’abandon nocturnes. Je n’ai malheureusement pas pu en faire l’expérience. De gentils cobayes humains acceptent de se laisser déposer seuls, la nuit, au cœur d’une de nos forêts domaniales. Et bien sûr sans lumière et sans moyens de communication. On constate toujours au petit matin que la peur a été largement majoritaire. Des peurs quelquefois reportées sur des aspects particuliers de la nature (sangliers, serpents araignées) mais aussi beaucoup, et sans doute plus fortes, des peurs diffuses, sans objet, qui vous remuent le fond des tripes. Pendant que l’esprit conscient s’interroger et perd les pédales, les puissances du rêves s’installent aux commandes, et frustrées d’épanouissement fleurissent en un incroyable bric-à-brac de terreurs métaphysiques, d’images tragiques, de sensations frissonnantes et vagues, colorant la nature en négatif, à l’unisson de ces terreurs.
La bonne vieille nature sauvage, porte ouverte sur un inconscient émotionnel refoulé
Apprendre la nature en groupe, parce qu’on a renoncé à gérer le choc émotionnel du contact solitaire, voilà peut-être la plus grande erreur de l’éducation à l’environnement.
La nature nous met face à nous même, à notre inconscient, pourvoyeur de rêve et de phantasmes.
François Terrasson savait mieux que personne pointer les fausses bonnes idées. C’est pourquoi il était contre la protection de la nature « car cela signifie bien qu’on va constituer un bouclier, mais surtout qu’on a renoncé à faire cesser l’attaque ! » Et oui, on le voit bien maintenant, créer des bulles a ouvert la porte à tous les laisser-faire hors de ces bulles. Et comme l’aura des écologistes est désormais en berne, on voit aujourd’hui que même la bulle n’est plus respectée puisque le cœur même de certains parcs nationaux est désormais revendiqué au nom de l’économie!!!