La nature ne se venge pas. Elle est. Tout simplement.

A propos de la crise sanitaire actuelle, j’ai entendu ou lu à plusieurs reprises que la nature se vengeait. Bon certes, cela relève peut-être d’une prise de conscience de nos comportements irrespectueux mais cela est néanmoins une vision très anthropomorphique. Dire qu’elle se venge, c’est lui prêté notre petitesse. La nature est bien au-delà de nos sentiments humains. Elle est. Tout simplement. Et elle subit tout autant que nous les dérèglements du monde, dont, par contre, nous sommes responsables. Ces dernières décennies, les maladies émergentes sont de plus en plus nombreuses. Concernant les humains, il y a eu l’épidémie de SRAS de 2002-2003 et la grippe aviaire de 2009. Mais quelles leçons en avons nous retenue ? Aucune.

Les épidémies qui touchent les animaux domestiques devraient nous interpeller davantage mais tant que ce n’est pas chez nous…  Ainsi, au lieu de s’inquiéter, les éleveurs de porcs bretons se frottent les mains : les chinois dont les élevages sont décimés par la peste porcine s’approvisionnent chez eux  ! Et les chasseurs, qui sont sans cesse en train de geindre sur leurs difficultés à réguler les populations de sangliers, en importent des pays de l’Est alors qu’on sait qu’ils peuvent être porteurs du virus de la peste porcine. Tout ça pour s’amuser à les massacrer en enclos – ils osent appeler cela de la chasse !

☞ Un dessin de Sanaga paru sur le site de Reporterre me semble être un résumé tout à fait magistral. Titre : « Le Pangolin, responsable désigné du Covid-19. » Un pangolin donne une conférence de presse. Il dit « Restons modeste, rien de tout cela n’aurait été possible sans l’aide précieuse de la connerie humaine » -.reporterre.net/Le-Covid-19-vu-par-les-dessinateurs

Les maladies nouvelles apparaissent, causées par un agent infectieux, virus, bactéries, parasite, jusque là inconnu ou qui évolue : changement d’hôte, de vecteur, de pathogénicité ou de souche. Ces maladies dites émergentes ou ré-émergentes affectent l’ensemble du monde vivant. Le changement climatique est pointé du doigt. En agissant sur les conditions de température et d’humidité des milieux naturels, il modifie les dynamiques de transmission des agents pathogènes qui y vivent. Il intervient également sur l’aire de répartition, l’abondance, le comportement, les cycles biologique de ces microbes ou des espèces hôtes associées, changeant les équilibres entre pathogènes, vecteurs ou réservoirs. Depuis plusieurs années, médecins, vétérinaires et épidémiologistes annoncent un développement de ces maladies émergentes liées aux perturbations causées par les changements climatiques. De nombreux virus sont répertoriés depuis longtemps. Ils sont dans un état de quasi dormance mais dès que les conditions sont favorables, ils peuvent faire des ravages comme Usutu découvert en 1959 ou Zika en 1947.

Lorsque je dis que la nature subit, comme nous, je pense notamment aux épidémies qui touchent la faune sauvage et qui n’émeuvent pas grand monde. L’été 2019, des dizaines de merles sont mort en France terrassés par le virus Usutu. A Paris, ils sont devenus quasi inexistants. Originaire d’Afrique, ce virus a fait son apparition en Europe en 2001. Transmis par la piqûre du moustique Culex, le moustique le plus commun chez nous, il s’attaque au système nerveux des oiseaux et provoque leur mort. Beaucoup d’espèces d’oiseaux peuvent être infectées par le virus. Les individus malades sont affaiblis, bougent peu ou semblent désorientés et ils meurent généralement en quelques jours. En 2016, dans certaines communes allemandes, le virus a décimé près de 90 % des merles. Il est évident que les merles qui font partie de la nature s’en seraient bien passé !

La semaine dernière, chez moi, il a gelé. Une de mes amies m’a dit sincèrement émue, « la nature n’est pas gentille. » Mais non, son raisonnement est faux. Si nombre de fruitiers en fleurs (pruniers, pêchers, cerisiers) ont gelés, ce n’est en rien sa volonté. La nature aime l’abondance. Elle a subi ce gel en pleine floraison précoce après un hiver très doux. Nous sommes là face aux phénomènes induits pas le dérèglement climatique. Pour en revenir à l’émergence des nouvelles maladies,  ce dernier n’est pas le seul responsable. Le contact de l’homme et des animaux avec de nouveaux espaces naturels, lors des déforestations, favorisent l’émergence de nouveaux agents infectieux, les zones déboisées augmentant le contact entre la faune sauvage et l’homme. Le transport aérien, et de manière générale la hausse des déplacements internationaux d’hommes et de produits, accélèrent aussi grandement les migrations de microorganismes qui pourront ensuite s’épanouir dans leur nouveau foyer si le climat leur est propice. La croissance démographique, la concentration de populations pauvres dans des villes où les déchets sont mal évacués, et les conditions socio-économiques sont aussi en cause.

Aujourd’hui, un tout petit virus de rien du tout s’en prend à sa majesté l’homme dans sa toute puissance. Lui qui prend, qui prend, qui prend, qui croit tout dominer, tout pouvoir résoudre, cette fois est contraint de se confiner et d’arrêter la machine économique, sa principale motivation. La nature a sa propre logique. Les organismes, les écosystèmes s’autorégulent sans autre finalité que de se maintenir donc de se reproduire. Ainsi, elle échappe complètement à l’emprise humaine. Avec le Covid-19, l’homme subi cette loi implacable. Et, ironie, c’est lui qui a créé les conditions favorables à l’émergence du coronavirus. Il ne peut donc que s’en prendre à lui-même. La nature s’accomplit, comme d’habitude, mais cette fois, c’est à notre dépens. L’immense majorité des humains semble surprise et n’en croit pas ses yeux et ses oreilles. Mais comme la majorité des scientifiques alertent depuis des décennies (Le printemps silencieux de Rachel Carson date de 1960) et que nous sommes encore nourri de la dualité bien/mal, on entend ce fameux « La nature se venge ! » qui m’irrite.

Il est sans doute venu le temps de reconnaître la nature comme partenaire, de respecter « la part sauvage du monde » pour reprendre le titre du livre de Virginie Marris (Seuil, 2018) et de mettre la biodiversité au premier rang de nos préoccupations avec le changement climatique car les deux vont de pair. On a trop misé sur la lutte contre le réchauffement climatique, parce qu’il y a du business à faire mais laisser la nature en paix, seulement cela car les interventions pleines de bons sentiments de certains se révèlent souvent plus néfastes qu’efficaces, cela ne rapportera pas à court terme de monnaie sonnante et trébuchante. Disons que c’est une autre façon de voir le monde et d’envisager la vie. Mais, le danger passé, serons nous assez nombreux, à suivre (imposer) cette voie ?

05/04/2020 © Danièle Boone