La fondation Cartier accueille Fabrice Hyper le temps d’une exposition, à la fois ludique et riche de sens, propice à l’interrogation. L’artiste, académicien depuis 2018, est aussi un homme de la nature. Fils de paysan, il n’a pas supporté que les terres de son enfance risquent d’être polluées par l’agriculture conventionnelle. Qu’à ne cela tienne, il se débrouille et rachète soixante-dix hectares avec l’idée de planter une forêt. Mille arbres sont installés. C’est un échec. Pourquoi ne pas semer ? Le pari est fou ? Pas du tout. C’est comme de la régénération naturelle quelque peu aidée. Trois millions de graines sont semées selon une technique mise au point avec son père. Vingt cinq ans plus tard, c’est une vraie forêt, encore jeune, certes mais en pleine forme et riche d’une incroyable biodiversité. Elle compte environ cent mille arbres : des pins, des feuillus, des arbres fruitiers qui se renforcent les uns les autres et qui favorisent une biodiversité d’animaux, d’insectes, de végétaux, de champignons… La Vallée où se trouve cette forêt est devenue un lieu d’inspiration comme en témoigne cette exposition qui rassemble une soixantaine de toiles.
☞ « Avec la Vallée, je voulais d’abord reconstituer un paysage arboré autour de la ferme de mes parents pour créer une barrière naturelle avec l’agriculture industrielle environnante et ceux qui la développaient. » Lieu d’apprentissage, d’expérimentation, de refuge, la Vallée est devenue la matrice et la source d’inspiration de l’ensemble de son œuvre. L’artiste compare d’ailleurs volontiers sa pratique avec la croissance organique du vivant : « Au fond je fais la même chose avec les œuvres, je sème les arbres comme je sème les signes et les images. Elles sont là, je sème des graines de pensée qui sont visibles, elles font leur chemin et elles poussent. Je n’en suis plus maître. »
Sur ses toiles de grand format, Fabrice Hyber formule des hypothèses, associe des idées, invente des formes, joue avec les mots. « Mes tableaux décrivent un monde jamais fini, en transformation permanente, qui absorbe tout, comme dans une vallée. » L’artiste travaille sur plusieurs compositions en même temps et opère des glissements de sens d’une toile à l’autre. Il lui arrive aussi de revenir sur un tableau ancien. Il note ici une phrase, dessine là une image, colle ailleurs un objet, par petites touches, au gré de son imaginaire et de ses spéculations. Chaque étape compte. Ce processus de création « par accumulation » enrichit l’œuvre de toutes les potentialités ouvertes par la pensée en mouvement. Bien qu’utilisant la peinte à l’huile, sa technique, avec très peu de matière, ressemble à l’aquarelle : chaque trait est définitif. Tout le processus d’élaboration est visible. La toile devient ainsi un espace d’apprentissage et d’enseignement : « J’apprends en faisant et je veux transmettre ».
Fabrice Hyber a imaginé son exposition comme une école pour partager cette autre façon d’apprendre, née dans la Vallée. La scénographie rappelle les salles de classe autant que les cours de récréation. . Il invite le visiteur à s’appuyer sur les brèches ouvertes par les toiles pour formuler ses propres hypothèses, faire ses propres associations : « Ce qui est important dans une école selon moi, plus qu’apprendre des choses, c’est apprendre à les regarder, à observer comment elles évoluent. » Et pour aller jusqu’au bout de ses convictions, il a mis en place un programme de classes en résidence coorganisé avec des écoles partenaires de Vendée et d’Ile de France, ainsi que des « cours du soir », accessibles également sous forme de podcasts. C’est que pour Fabrice Hyber, une exposition est d’abord un lieu où l’on apprend. Regarder un tableau c’est le début d’une conversation, d’une recherche, d’une découverte, d’une remise en question bien nécessaire à l’heure des lendemains incertains.
Fondation Cartier jusqu’au 30 avril.
261 boulevard Raspail 75 014 Paris.
www.fondationcartier.com
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28 février 2023 © Danièle Boone