Pour justifier une politique basée sur la loi du plus fort, nos décideurs s’appuient sur de faux principes de biologie. En effet, dans la nature, affirme le primatologue Frans de Waal, la compétition n’est pas le seul moyen de survivre. La coopération a largement sa place d’où le sous-titre de son livre « Leçons de la nature pour une société solidaire ».
Le dernier livre de Frans de Waal est tout simplement passionnant. Le primatologue américain d’origine hollandaise travaille depuis une quinzaine d’années sur l’empathie (capacité à ressentir les sentiments et les émotions d’autrui, à deviner s’ils sont heureux ou tristes). Il a commencé cette étude à la suite d’une rencontre avec la psycho-sociologue Carolyn Zahn-Waxler qui mesurait l’empathie chez les enfants. De fait, il avait découvert le phénomène chez les primates, il y a 25 ans, avec des individus qui consolaient des perdants après une altercation mais à cette époque, il était impensable d’en faire un sujet de recherche. L’empathie était considéré tout simplement comme du sentimentalisme de bonne femme! Heureusement, de découvertes en découvertes, les mentalités ont progressé. Plus personne maintenant ne conteste que les animaux éprouvent des émotions. On peut donc désormais parler à leur égard d’empathie sans être immédiatement taxée d’anthropomorphisme.
L’empathie est une part de notre héritage aussi ancienne que la lignée des mammifères, affirme le grand primatologue. Elle mobilise des régions du cerveau vieilles de plus de cent millions d’années. Frans de Waal va même plus loin. Comme des exemples d’empathie ont été observés chez des oiseaux, il émet l’hypothèse qu’elle pourrait être l’héritage d’un ancêtre commun aux oiseaux et aux mammifères. Toujours est-il que, hormis un très petit pourcentage d’humains (les psychopathes), l’empathie vient naturellement à notre espèce. Nous naissons tous avec un esprit qui ne supporte pas de voir souffrir autrui. Hélas, notre époque célèbre l’intellect et méprise les émotions et les décideurs prennent pour prétexte de faux principes de biologie pour justifier une politique basée sur la loi du plus fort. Mais non, dans la nature, « beaucoup d’animaux survivent non pas en s’éliminant les uns les autres, mais en coopérant et en partageant. Sans l’empathie, les espèces sociales n’auraient pas survécu. »
Les neurosciences ont permis d’ouvrir l’éthologie à la notion d’émotion chez l’animal. Ainsi nous savons maintenant que les neurones miroirs, découverts dans les années 1990, jouent un rôle fondamental dans l’apprentissage par imitation mais aussi dans les processus affectifs tel que l’empathie. Une expérience avec les dauphins est particulièrement significative. Un dresseur exécutait des mouvements sur le bord du bassin. Le dauphin l’imitait. Quand l’homme levait son bras droit, le dauphin levait sa nageoire droite. Lorsqu’il a levé sa jambe, le dauphin a levé sa queue! Le dauphin a fait bien plus que copier une action physique; il s’est montré capable d’établir une correspondance entre le corps de l’homme et le sien. Autre exemple étonnant avec un perroquet. Le chercheur lui disait « regarde ma langue » puis tirait la langue. Le perroquet, très rapidement, a dit « Regarde ma langue » puis a tiré sa langue comme l’homme. Les bébés humains et les bébés macaques imitent très tôt l’expression du visage qui se penche sur eux. Si c’est un sourire, les bébés sourient. Si c’est un air sévère avec un froncement de sourcils, les bébés adoptent la même expression.
Autre grande découverte, l’ocytocine. Cette hormone enregistre un pic au moment de l’accouchement. Elle déclenche les contractions de l’utérus puis celle des glandes mammaires pour éjecter le lait. Récemment, on a découvert que l’ocytocine jouerait non seulement un rôle dans l’attachement de la mère et de l’enfant, mais aussi dans les échanges sociaux. Elle tisserait les liens entre individus et renforcerait les relations de confiance. L’ocytocine est présente chez tous les individus mais le taux d’ocytocine reste plus élevé plus longtemps chez les femmes qui justement se montrent plus empathiques que les hommes. Cette différence ne serait-elle pas simplement culturelle? Non, même si d’évidence les facteurs sociaux et environnementaux jouent un rôle important, car les petites filles réagissent plus à leur entourage vivant dès les premières heures après la naissance. « Les différences innées sont souvent amplifiées par la culture », explique Frans de Waal.
Le processus empathique est fondamental dans les relations sociales. Prenez deux chimpanzés. Faites leur faire un exercice et, à chaque fois, récompensez les avec un morceau de concombre.Vous pouvez recommencer autant de fois que vous voulez, ils s’exécuteront de bonne grâce. Mais donnez un morceau de concombre à l’un et un grain de raisin à l’autre. Ce dernier, plus savoureux, est considéré comme une friandise supérieure. Si vous recommencez, celui qui a reçu le morceau de concombre, refusera de faire l’exercice car il ressentira un sentiment profond d’injustice. A travail équivalent, salaire équivalent! « La première fois que j’ai publié un article sur ce sujet, les économistes n’ont pas du tout appréciés. Aujourd’hui, la crise aidant, ces derniers réalisent que la compétition n’est peut-être pas la seule voie. Maintenant, je suis invité dans les business schools. »
Faire des choses ensembles, coopérer ou aider les autres nous fait du bien. Nos corps et nos esprits sont faits pour vivre en société et nous perdons toute joie de vivre lorsqu’elle vient à manquer. Or la société occidentale, en prônant l’individualisme et le chacun pour soi va à contre courant de notre disposition naturelle. Ce choix sociétal va souvent de pair avec le tabou du corps. « Dans le phénomène de l’empathie, remarque Frans de Waal, c’est moins notre tête qui entre dans la tête de l’autre que notre corps qui cartographie le sien ». La preuve : nous excellons dans la synchronisation corporelle de la simple marche côte à côte jusqu’aux holas dans les compétitions sportives et nous en tirons du plaisir. Les expériences menées sur les bébés animaux privés de tout contact maternant montrent qu’en devenant adulte, ils sont incapable de s’intégrer dans le groupe.
Dans ce livre, Frans de Waal n’en finit pas de remettre en cause des idées reçues notamment à propos de la violence de la race humaine qui serait incapable de renoncer à la guerre. Pourtant les soldats qui ont tué un homme sont extrêmement peu nombreux, entre 1 à 2 %. De plus, un bon nombre d’entre eux n’ayant pas eu le choix (c’est lui ou moi) ne s’en remettent jamais. De fait, la plupart des soldats se contenteraient de suivre les ordres. C’est l’instinct grégaire: des milliers d’hommes qui marchent du même pas en vertu de l’obéissance à un supérieur. Il est intéressant de constaté que le pourcentage d’hommes qui tuent est identique à celui des psychopathes, des individus justement dépourvus d’empathie. Dans un tout autre registre, le chercheur note que, après les inondations en Louisiane de septembre 2005, les Américains ont été atterrés de voir que rien n’était prévu pour aider les sinistrés et pire, que le président Bush n’a même pas jugé bon d’intervenir avant une semaine. Le peuple a alors fait preuve d’un immense élan de solidarité. Pour Frans de Waal, c’est cet élan qui est à l’origine d’une fêlure dans le système américain, ce qui permet aujourd’hui au président Obama d’envisager une protection sociale. Même s’il rencontre beaucoup d’opposition, il va sans doute mener à bien cette réforme qui repose justement sur l’empathie.
La relecture du monde par Frans de Waal est passionnante. Il adhère totalement à notre devise, Liberté, Égalité, Fraternité. Les Américains ont développé démesurément la liberté, et ça ne marche pas. Les Européens, l’égalité mais cela ne marche pas non plus. Et tout le monde a oublié la fraternité. Il serait temps d’en faire une devise universelle en prenant bien soin d’équilibrer les trois composantes. Nous serions alors dans cet âge de l’empathie que Frans de Waal appelle avec beaucoup sincérité. Il y va sans doute de la survie de notre espèce.
J’ai eu la chance de rencontré Frans de Waal lors d’un petit déjeuner au Square Trousseau organisé par les JNE (Association des journalistes pour la nature et l’écologie), l’AJSPI (Association des Journalistes de la Presse d’Information) et Anne Vaudoyer, attachée de presse des Editions LLL – Les Liens qui Libèrent.
L’âge de l’empathie
Leçons de la nature pour une société solidaire
LLL – Les liens qui libèrent
389 pages, 22,50 €
www.editionslesliensquiliberent.fr
26/02/2010 © Danièle Boone – Toute utilisation même partielle du texte et/ou de la photo est soumise à autorisation
Bravo pour cet article qui donne envie de lire ce livre… que j’avais déjà commandé en réalité 😉
hier au Salon du Livre, j’ai pris instinctivement la
couverture en photo par iphone du livre « l’âge de l’empathie » de Frans de Waal et je l’envoié à toutes/tous mes ami(e)s, mais sans le titre ni l’auteur,
en disant, voila, je vous l’avoue, je vis depuis un certain
temps avec une femelle Ourang Outan et voci notre
premier bébé….
Réaction ce matin: mais t’es devenu fous ou quoi ?
Bon, brève, une bonne petite provoc et maintenant je vais leur envoyer les details et le nom de l’editeur.
Ce que m’a attiré,’était cette main humaine et ce bébé
Ourang Outan dormant – une image pleine de tendresse.
Je n’ai pas encore lu ce livre (j’ai feuilleté) et je vais l’acheter à la première occasion.
Merci à vous tous pour cet ouvrage génial et très intéressant.
Excellent livre à découvrir absolument… ainsi que « Le singe en nous », paru antérieurement.
Non, le monde n’est pas régi que par les rapports de force.
Bien à vous,
MCL