Du safran en Berry, cela n’a rien d’exotique. Cette épice est cultivée en France depuis le XIème siècle pour connaître une apogée du XVème au XVIIème siècle. Sa culture décline au XIXème siècle et disparaître dans les années 1900. Depuis quelques années, les safranières renaissent comme à Ourouer les Bourdelins, un village de la vallée de Germigny dans le Cher où Virginie Roger bichonne en bio son « or rouge ».
☞ J’ai rendu récemment visite à Virginie car c’est le temps de la récolte. Le crocus à safran est en effet une plante à végétation inversée: ses bulbes sont en dormance pendant l’été et sa floraison a lieu à l’automne.
Les fleurs s’épanouissent de fin septembre jusqu’à mi-novembre avec un pic d’éclosion pendant les deux dernières semaines d’octobre.
Notre safranière se présente comme « une paysanne convaincue du bien fondé d’une agriculture respectueuse de la faune, de la flore, de la biodiversité ». Au départ, ce n’était pas une évidence. A 21 ans, après 3 ans d’études de biologie, elle fuit le monde citadin pour s’installer en Vallée de Germigny. Quelques années et deux enfants plus tard, elle découvre cette petite fleur magique et tombe en amour pour elle. C’est décidé, elle quitte l’entreprise où elle est salariée et s’installe en ruralité. Ses 2,4 hectares sont suffisant pour entreprendre cette culture artisanale entièrement manuelle et du maraîchage.
Ainsi est né « Le jardin gourmand d’Antoinette » baptisé en hommage à son arrière grand-mère qui cultivait un magnifique jardin où la petite fille vagabondait avec bonheur. Virginie a acheté ses premiers bulbes au Safranério (conservatoire botanique du safran d’origine Quercy) mais maintenant, elle les reproduit elle-même. Elle fait pousser aussi des fruits et légumes, fraises, framboises, potirons, tomates, oignons, etc. avec une prédilection pour les variétés anciennes. Et elle fabrique de délicieuses confitures et chutney avec ou sans safran. Le tout labellisé bio.
En fait, le moment le plus intense en émotion, c’est le matin, au moment de la découverte. Les fleurs sortent pendant la nuit. Avant que le soleil n’arrive, elles restent fermées et sont toutes perlées de rosée. Mais, dès que les rayons les effleurent, leurs corolles légères s’ouvrent comme des amantes à l’appel de la vie. Impossible à prédire combien elles seront. Lorsque je suis venue, il y en avait 6 000 et c’était magique. Les jours très faste, il peut y en avoir jusqu’à 10 000. Comment connait-on le nombre de fleurs, et bien c’est tout bête, chaque cueilleur a pour mission de compter combien il en récolte.
Les fleurs qui ne recevaient pas encore les divins rayons, contrairement à leurs sœurs déjà visitées, restaient fermées mais ce n’était qu’une question de seconde. Les précieux stigmates dépassent des boutons. Leur fragrance attire irrésistiblement les butineurs se précipitent sur le trésor rouge vif.
J’ai observé une abeille pénétrer les corolles encore serrée à la recherche des trois étamines jaunes couverts de pollen. Et puis plus rien. J’ai cru un instant qu’elle avait trompée ma vigilance. Mais non, la fleur cachait bien l’intruse qui se délectait dans son intimité. Tout à coup, elle s’est mise à vibrer et la visiteuse est réapparue.
Des amours matinales avec les pollinisateurs, aucun fruit ne naîtra car une main humain, elle aussi amoureuse, va interrompre cet élan naturel pour le plaisir de nos papilles mais là, je vais trop vite!
Température nocturne inférieure à 10° et au matin, un soleil radieux sont les conditions idéales pour la récolte du safran.
A l’instant où les fleurs s’épanouissent, déjà le soleil les abîme. C’est pourquoi, il faut les cueillir très vite mais, en même temps, il faut attendre qu’elles soient ouvertes et qu’il n’y ait plus de rosée.
C’est pourquoi Virginie n’hésite pas à faire appel à la solidarité familiale ou amicale. En ce jour ouvré, c’est sa maman et son beau-père qui ont répondu présents.
Vers midi, les 6000 fleurs sont cueillies (elles ne sont pas toutes dans ce panier). Virginie fait un dernier tour pour cueillir les plus timides, qui ont pris le temps de sortir de leur gangue, et de s’ouvrir. Quelques unes encore vont s’ouvrir dans la journée. C’est pourquoi, elle effectue un nouveau passage en fin de journée.
L’après-midi, on passe aux choses sérieuses: l’émondage, c’est à dire la récupération des stigmates délicieusement parfumés, le fameux « or rouge ».
Comme l’explique très bien Virginie sur son site, « l’émondage consiste à extraire de la fleur le pistil rouge vif et de couper le style blanc, à la hauteur de l’orangé, juste sous la jonction des trois stigmates ». Les émondeurs les plus expérimentés traitent 500 à 700 fleurs à l’heure. Il faut entre 130 et 220 fleurs pour obtenir un gramme de safran sec.
Chez Virginie, l’émondage se pratique dans la pièce à vivre de la maison, une belle longère paysanne avec de magnifiques poutres. Le moment est des plus convivial : partage de thé et de paroles – plus besoin de compter!
Dernière étape, le séchage. Virginie fait sécher les pistils frais à environ 50° par petites quantités de façon à ce qu’ils perdent plus de 80% de leur poids initial. Les 6000 fleurs du jours vont se réduire à 60 grammes de safran. Elle utilise un four de cuisine mais, il est dédié au safran. C’est une opération délicate qui doit être faite au plus vite après l’émondage.
A suivre une journée de cueillette, on se dit que, certes le safran est cher (30 000 € pour un kilo), mais quel travail! Pour obtenir ce kilo d’or rouge, il faut cueillir et préparer, une par une, à la main, entre 130 000 et 220 000 fleurs, sans compter tout le travail en amont, préparation des planches, plantation des bulbes… Mais Virginie a réalisé son rêve et rien ne lui pèse.
…
Le jardin gourmand d’Antoinette
Virginie Roger pratique surtout la vente en directe. On la retrouve dans les foires bio, les marchés à la ferme, les foires des plantes. Bientôt, elle aura un espace dédié à la vente chez elle.
33 rue des Jardin
18350 Ourouer les Bourdelins
Tél.: 02 48 76 80 54 / 06 45 99 49 74
☞ le site du jardin gourmand d’Antoinette
…
02/11/2013 © Danièle Boone – Toute utilisation même partielle du texte et des photos est soumise à autorisation