Les saisons de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud

Lynx courantSe taire et contempler, voilà à quoi nous invite Les saisons, le dernier film de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, très avare en mots. Dans un monde où le silence est si rare, cela fait l’effet d’un manifeste. Et pourtant les deux hommes nous content la grande histoire universelle des animaux en Europe, en d’autres termes, celle de la nature sauvage. Au début l’homme était à peine visible et les animaux occupaient toute la place. Et puis, au fil des millénaires, Homo Sapiens, le mal nommé, a pris de plus en plus de place et le territoire des animaux s’est réduit comme une peau de chagrin.

Chouette Harfang☞  La séquence avec cette chouette Harfang au début du film est absolument magique.  « Il faut observer la nature comme on lit un poème : pour déployer le monde, écrit Stéphane Durand, un des scénaristes  des « Saisons », dans Goupil, le magazine de l’Aspas. L’histoire naturelle et la poésie illimitent le réel. Parce que le réel sera toujours plus grand, plus dense et plus riche que ce que l’on ne pourra jamais imaginer. « 

Bisons dans la neigeCes bœufs musqués dans la neige filmés dans les grands espaces européens évoquent ce temps lointain où la terre glaciale était bien inhospitalière mais ces animaux ont résisté et sont parvenus jusqu’à nous.

Ecureuil rouxAprès cette longue période de la glaciation, vint le temps de la forêt et les chants d’oiseaux.  On admire les arbres et on entend les oiseaux sans les voir. L’oreille avertie reconnaît le pinson, la mésange, la sittelle, le pic épeiche… Et puis tout à coup, on découvre, l’écureuil roux, le farfadet des bois. Savez-vous que ce charmant petit animal a été considéré comme nuisible jusqu’en 1976 ?

RenardeauLes réalisateurs du film s’insurgent contre ce classement de la faune en animaux utiles, nuisibles  ou… porte-malheur!!!  Cette toute petite phrase dans un film où les mots sont rares devraient faire mouche. En effet, tout est bon pour se débarrasser de ces « ennemis publics ». Vous y croyez, vous, à notre écureuil, ennemi public. Et pourtant, il y a seulement quarante ans, il était bel et bien encore inscrit sur cette liste fatale! Il a été un moment où on touchait même une prime en échange de la queue du petit rouquin. Révolté ? Alors n’hésitez pas à le manifester car ils sont encore nombreux, comme ce renardeau, à être poursuivi 365 jours par an, de jour comme de nuit,  à agoniser dans des pièges non sélectifs ou encore à être enfumé et déterré dans leur terrier! Est ce cela, être humain ?

LoupsLes loups, ces mal aimés par excellence, surtout en France, occupent bien évidemment une grande place dans le film. Ces séquences ont été tournées avec des animaux imprégnés, c’est à dire habitués à l’homme. Marie-Noëlle Baroni, José Cabreira, Christophe Debono font partie de l’équipe qui s’occupent des animaux. Aucune bête n’a été prélevée dans la nature. Ce sont les descendants d’animaux recueillis parce qu’ils étaient blessés ou que c’était des bébés dont la mère avait été tuée. Ces petits nés auprès d’humains amis ont grandi. Adultes, ils n’ont pas peur des hommes. A CO2 mon amour, Jacques Perrin expliquait, qu’en fait, autrefois, lorsqu’il y avait beaucoup d’animaux dans la nature, certains se rapprochaient de l’homme, c’était normal. Ceci explique d’ailleurs en partie la domestication des loups, il y a 30 000 ans. Aujourd’hui les animaux les plus familiers sont exterminés, le territoire vital des animaux devenant de plus plus étroit, ceux qui restent ont développés une peur de l’homme, un instinct de survie les contraignant parfois à changer leur comportement. Ainsi, en Afrique, les éléphants, animaux diurnes, ont de plus en plus d’activités nocturnes. Cela dit, pour en revenir aux loups, ils sont revenus aussi en Allemagne et là-bas, cela se passe plutôt bien contrairement à chez nous où les quelques individus qui se sont installés sont en passe d’être de nouveau exterminés avec la bénédiction des autorités! Il semble que nous devrions nous interroger sur ce qui, dans notre culture à nous, fait que cela se passe aussi mal. Les somptueuses images du films et les quelques commentaires fort pertinent devraient en tout cas nous amené à nous poser, entre autres, cette question.

Lynx et son petitLe lynx est un autre triste exemple. Cet animal d’une extraordinaire élégance a été réintroduit dans les Vosges du Sud à partir de 1983. Tout semblait bien se passer. Des couples se reproduisaient mais c’était sans compter avec les braconniers. Il semble aujourd’hui qu’il n’en subsiste aucun. Quelques individus vivent dans le Jura, des descendants des lynx relâchés dans le Jura suisse.

Famille oursIl en est de même pour l’ours. Pourquoi tant de haine chez nous ? 6000 ours dans les Carpathes et pas de problèmes parce qu’aux dires des Roumains, il y a des bons bergers !  Il y a une place à faire, non pas dans la nature, mais dans la tête des hommes. Et même économiquement. Gilbert Cochet, conseiller scientifique du film, a évoqué dans CO2 mon amour, une économie de la contemplation. Il a raconté l’histoire de ce pisciculteur canadien. Les aigles pêcheurs venaient se servir abondamment dans ses bassins. Au lieu de prendre un fusil, il s’est servi de ses neurones. Désormais,  il sélectionne ses poissons les moins vifs et les mets à disposition des aigles dans un bassin un peu à l’écart et il a construit des cabanes d’affût qu’il loue à des passionnés de nature. Quelques années plus tard, les aigles lui rapportent plus que la pisciculture. Il a donc, en quelque sorte, doublé ses revenus! En Roumanie, les ours, à Yellowstone, les loups sont source de revenus non négligeables. Alors pourquoi, en France, on ne veut pas faire ?

Jacques Perrin inaugure la nouvelle réserve sauvage de l'AspasJacques Perrin est un homme engagé bien au delà de ses films. Il n’hésite pas utiliser sa notoriété pour servir une cause qui lui tient à cœur. Le 8 janvier dernier, il s’est déplacé dans la Drôme pour inaugurer la deuxième « Réserve de vie sauvage® » de l’ASPAS. Il avait déjà parrainé celle du Grand Barry en 2014. Ces espaces intégralement protégés, mais autorisés à la promenade respectueuse, ne peuvent que le séduire, lui qui dit « Si l’homme veut bien faire, qu’il ne fasse rien et laisse faire la nature ». Après avoir montré notre impact destructif,  le film s’achève sur l’espoir d’une nouvelle alliance avec la nature car, partout de bonnes volontés se mobilisent et, lorsqu’on leur donne une chance de vivre, les animaux se réinstallent.


Les saisonsLes Saisons, le livre
C’est le livre du film, des images somptueuses. Le texte de Stéphane Durand est très instructif. L’ouvrage s’achève avec un chapitre consacré aux coulisses du film. On y voit comment s’est effectué le travail avec des animaux imprégnés dès leur naissance, ces acteurs là n’ayant pas peur de l’homme d’autant que ceux qui les entouraient étaient très respectueux. On y découvre aussi les moyens techniques, énormes, et pourtant il s’agissait bien souvent de bricolage maison, ainsi que les expéditions et quelques scènes coupées au montage. En toute fin, viennent les visages et les noms de tous ceux qui ont collaboré au film. Un livret, Plaidoyer pour une nouvelle alliance, rédigé par quatre spécialistes, Éric Baratay, Jean-Denis Vigne, Gilbert Cochet et Philippe Descola, accompagne l’ouvrage.
Éditions Actes Sud, 286 pages, 36 €

☞ Le site du film où on peut voir la bande annonce
☞ L’émission de CO2 mon amour avec Jacques Perrin et Gilbert Cochet


15/02/2016 © Danièle Boone