Mechai Viravaidya, Captain Condom

Tous les quatre jours, le monde compte un million d’habitants en plus. Dit comme cela, vous avouerez que c’est assez vertigineux! Alan Weisman, un journaliste américain, a sillonné la planète pendant deux ans, pour essayer d’appréhender les effets de la surpopulation et les tentatives de planification des naissances. Et un jour, il a rencontré Captain Condom, un honorable mais peu banal monsieur de soixante-dix ans.

☞ En réalité, Captain Condom est un personnage fictif à découvrir dans un des meilleurs restaurants de Bangkok, Cabbages & Condoms, des choux et des capotes ! Oui, vous pouvez tout à fait voir une certaine obsession d’autant qu’au-dessus du bar, à côté d’une Joconde au sourire rusé tenant un préservatif emballé, se trouve une maquette du « Mayflower » – coque, voiles et gréements faits de préservatifs. Dans le restaurant à ciel ouvert, où le thème décoratif « haute prophylaxie » se poursuit,  les menus assurent que « les plats ne présentent aucun risque de grossesse ». La boutique conjointe propose des tas d’objets, tous entièrement constitués de préservatifs, dont le fameux captain et… une mariée grandeur nature! De fait derrière tout cela, il y a Mechai Viravaidya, que j’ai rebaptisé pour l’occasion Captain Condom. Mais vous allez voir que ce surnom lui va à merveille.

En 1976, Mechai qui n’a pas la langue dans sa poche déclare que « l’aide étrangère, c’est comme une érection. Ça fait du bien tant que ça dure … mais ça ne dure pas! » En d’autres termes, mieux vaut compter sur soi-même. Le franc parler est sa tasse de thé. Il n’y a là aucun effet de style mais une conviction profonde. Cet économiste a très vite compris qu’il arriverait assez rapidement le moment où son pays manquerait de terre pour produire la nourriture nécessaire pour une population galopante sans compter les nouveaux logements, les écoles, les hôpitaux et… l’eau, beaucoup d’eau. Il rédigea plusieurs rapports qui restèrent comme des lettres mortes alors il se mit à écrire des articles qu’il signait d’un pseudonyme. Ils le menèrent de la presse écrite à la radio puis à la télévision. Bel homme charismatique, il devint tout naturellement acteur. La célébrité donnait enfin du poids à sa parole car il n’avait pas oublié le message qu’il avait toujours voulu faire passer, genre moins nombreux, plus heureux, et il passa à l’acte. Un jour, face à un auditoire pudibond auquel il tente d’expliquer les bienfaits nécessaires de la contraception,  il lance un concours de gonflage de capote. Celui qui a le plus gros ballon gagne. Gêne, puis amusement, puis rire. Il a gagné. Il le refera souvent, et ça marchera toujours. Dans le même style, il invente un jeu de l’oie à sa façon: maman prend la pilule ou tonton achète une capote – avancez d’une case; tonton est saoul et ne met pas de préservatif – reculez de cinq cases.

Mais pour que la contraception puisse être, il faut que les contraceptifs soient facilement accessibles et tout particulièrement, les préservatifs. Depuis le séjour des américains pendant la guerre du Vietnam, son pays est devenu champion de la prostitution et du tourisme sexuel et… du sida. Avec sa créativité débordante, il lance des slogans genre « une capote par jour, la santé pour toujours » et imagine de nouveaux réseaux de distribution. « Nous avions la même clientèle que Coca-Cola, donc nous avons utilisé les mêmes points de distribution. Et notre produit était infiniment moins encombrant. » Son action s’est révélée très positive puisqu’au tournant du millénaire, les taux d’infection du VIH en Thaïlande avaient chuté de 90%. Quand au taux de fécondité qui avoisinait les 7,5 enfants par femme en 1975, il était descendu à 1,5 et n’a pas bougé depuis.

Mechai ne s’est pas contenté de promouvoir la contraception, il s’est attaqué à l’éducation des enfants et tout particulièrement, celles des filles. Donner aux femmes la possibilité de choisir : cette solution s’avérait beaucoup plus efficace que l’attitude qui consistait à les faire culpabiliser ou à les ridiculiser d’avoir un si grand nombre d’enfants.  En cinq ans, son organisation connue aujourd’hui sous le sigle de PDA (Population and Community Development Association) forma 320 enseignants à éduquer leurs élèves dans le domaine de la planification familiale. En guise de frais de scolarité, les élèves et leurs parents doivent planter 365 arbres et offrir 365 heures de travail communautaire par an consacrées à des missions d’enseignement ou des tâches d’entretien des villages et des temples. « Notre école n’existe pas seulement pour les enfants. Nous garantissons que chaque famille qui est proche du seuil de pauvreté l’aura dépassé en neuf mois. » Dans les seize villages des alentours, les familles des élèves tiennent des fermes de grillons, purifient et vendent de l’eau, cultivent des champignons, fabriquent des couronnes nuptiales ou funéraires, ou encore élèvent des cochons.« 

Depuis 2009, 90 enfants de la région âgés de 12 à 15 ans sont scolarisés et en 2012, de nouvelles classes ont été créées pour les plus de 15 ans. « Les deux objectifs de cette école, dit son fondateur, sont de faire de nos élèves des entrepreneurs sociaux et des philanthropes« . La devise de l’école brodée sur les blouses:  « Plus vous donnez, plus vous recevez« . Mechai souligne encore : « En Thaïlande, nous devons former les meneurs de demain, pas les suiveurs d’hier. »

Son but est double: aider les citoyens pauvres à s’en sortir et, dans le même temps, agir pour le bien de la planète. Ainsi par exemple, il finance des micro-prêt en plantant des arbres. Les compagnies paient les villageois les plus âgés pour qu’ils fassent naître des plants que les villageois plus jeunes replantent ensuite. Chaque arbre étant valorisé autour d’un euro, un village qui plante 25 000 arbres empoche 25 000 euros pour son fonds de développement.

Voilà, je vous ai livré une des truculentes rencontres que Alan Weisman partage avec nous mais Michai n’apparaît que dans le chapitre consacré au Cambodge. Le livre en contient 16. Je vous invite donc à lire de toute urgence cet ouvrage infiniment riche.

Pour finir, je vous livre ci-dessous la chronique que j’ai écrit pour le site des JNE :

« Jusqu’où pourrons nous être trop nombreux sur terre? », tel est le sous-titre du livre d’Alan Weisman. Combien de temps encore la planète pourra-t-elle fournir l’eau, la nourriture, l’énergie nécessaire ? L’auteur ne prétend pas répondre à ces questions mais il interpelle le lecteur à travers une série de reportages dans le monde sur les effets de la surpopulation et les divers tentatives de planification des naissances. Le voyage commence en Israël. « C’est Dieu qui engendre les enfants. Et il leur trouve une place à tous » soutient Rachel Ladani, éducatrice à l’environnement. Israëliens et palestiniens pieux semblent s’être engagés dans une guerre des bébés persuadés que ceux qui en engendreront le plus, seront les vainqueurs.

Des aberrations au nom de la religion, il y en aussi chez les chrétiens et les musulmans. A Manille, l’église interdit la planification des naissances, pourtant il y a dans cette ville de 25,5 millions d’habitants l’un des plus grands bidonvilles du monde. Il aura fallu au président Benigno Aquino une terrible ténacité pour enfin arriver à faire voter une loi en ce sens. Au Nigeria, beaucoup pense encore que Dieu y pourvoira et en Iran,une remarquable politique de planification des naissances a été balayée en 2006, par le président Ahmadinejad qui a décrété que ce programme contrevenait à l’islam.

Au fil des pages, il apparaît évident que éducation et contrôle des naissances vont de pair comme il apparaît évident aussi que surpopulation et environnement ne font pas bon ménage. « Essayer de faire tourner une ONG écologiste, c’est redéfinir le mot défaite ». remarque amèrement un biologiste pakistanais. Mais ce livre foisonnant n’est pas noir. Il déclenche une grande révolte face à la bêtise de certains décideurs qui agissent bien souvent au nom du profit. Toutefois beaucoup de pays occidentaux sont arrivés à un taux légèrement supérieur du renouvellement de la population. Le Japon a même abordé sa décroissance. Une chance pour l’économiste Akihiko Mastutani qui propose de revoir l’idée de prospérité sur le qualitatif et non sur le quantitatif.

Trouver de  nouveaux équilibres, tel est le passionnant défi que pose la nécessaire contraction des populations. Puisqu’il n’y a pas d’autre choix possible, l’auteur souhaite, en conclusion, que l’humanité prenne son destin en main et prenne la décision elle-même plutôt qu’elle ne nous soit imposée par des catastrophes naturelles, la famine entre autre. »


Compte à rebours, jusqu’où pourrons-nous être trop nombreux sur terre? par Alan Weisman, Flammarion, 23,90 €
Les passages en italique de cet article sont extraits de ce livre.

Alan Weisman est également l’auteur de « Homo disparitus », un best seller international publié chez Flammarion en 2007, où, il imagine la disparition de Homo Sapiens, l’homme sage paraît-il et, bien après, son empreinte laissée pour l’éternité. Je vous laisse imaginé rien qu’au vu de nos poubelles ménagères, chimiques, nucléaires…


24/01/2014 © Danièle Boone – Toute utilisation même partielle du texte est soumise à autorisation