Visite au monastère de Solan

La forêt du Monastère de Solan représente 40% du domaine © Danièle Boone

Dans le village gardois de la Bastide-d’Engras, les sœurs du monastère orthodoxe de Solan vivent entre prière, nature et travail de la terre. Elles gèrent leur domaine de 60 hectares en mode biologique. « L’écologie est une révolte contre le principe de mort, c’est un ‘non’ en réponse à la criminalité du siècle », affirme Mère Hypandia. « L’agrobiologie est respectueuse de l’intégrité de la terre, poursuit le Père Placide Deseille, fondateur du monastère. Elle l’aide à donner le meilleur d’elle-même avec des produits bénéfiques à la santé non seulement de ceux qui s’en nourrissent mais aussi de tous les animaux qui vivent là. » Nous avons été accueilli par le chant des rouge-gorges et des pinsons.

Le vignoble du monastère de Solan © Danièle Boone

☞ Le domaine est d’un seul tenant, 4o hectares de forêt et 12 hectares répartis entre le jardin potager, les vergers et les 8 hectares de vignoble, le fleuron du monastère.  Les sœurs contrôlent l’ensemble de la chaîne. La sœur vigneronne est une ancienne ingénieur chimiste d’origine allemande. Le monastère produit  environ 20 000 bouteilles par an qui sont vendues en circuit court, au cellier du monastère,  au marché d’Uzès et dans les foires bio.

Vers le jardin © Danièle Boone

A l’origine, la communauté était dans le Vercors, rassemblée autour du Révérend Père Placide mais les moniales devenant de plus en plus nombreuses, la petite maison qui les accueillaient n’était plus suffisante. Recherche fut faite d’un nouveau lieu d’accueil et c’est ainsi qu’en 1991, le mas agricole de Solan devint le monastère de la Protection de la Mère de Dieu tandis que les hommes demeuraient au monastère de Saint-Antoine, à Saint-Laurent-en-Royans (26). Elles sont aujourd’hui dix-sept venues du monde entier (sept nationalités différentes)  ayant pour la plupart moins de cinquante ans.

Le jardin © Danièle Boone

Séduites par la beauté des lieux, les sœurs retroussèrent leur manches, pleine de courage et d’inconscience. Elles ne savaient pas comment s’y prendre. Où vendre les sept tonnes d’abricots récoltés ce premier été d’autant que le monde agricole était en crise? Deux sœurs sont parties en camion vendre la récolte à Lyon bravant les barrages routiers dressés un peu partout à ce moment là. Elles s’en souviennent en riant de leur folie. La conclusion, c’est que tout s’est finalement bien passé! C’est ainsi que, devant ces femmes désarmantes et si pleine de bonne volonté, les aides arrivèrent.

Entre 1996 et 1998, un forestier a aidé les sœurs à restaurer le massif devenu un maquis inextricable après des décennies d’abandon. Coupe sélective, dégagement des zones embroussaillées, plantation de 3500 plants et aménagement d’une piste d’accès. La forêt est désormais aménagée en futaie jardinée. Emmanuel Lopez, directeur du Parc National de Port-Cros, est un de ces conseillers  bienfaiteurs qui  les a beaucoup aidé mais c’est la rencontre avec Pierre Rabhi qui fut primordiale.

Alors que la plupart conseillait aux moniales d’abandonner, l’agrobiologiste de réputation internationale,  les a averti que la terre nourricière ne les enrichirait pas, mais qu’elle les ferait vivre. Et que pour cela, il fallait continuer « Au début, il venait très souvent au Monastère, se souvient Mère Hypandia, nous amenant des personnes qu’il connaissait, des spécialistes d’hydrogéologie, de géologie, d’arboriculture en bio, de vinification, de biodynamie… » De cette collaboration est née l’association « Les amis de Solan » dont Pierre Rabhi est président. « Pierre nous a expliqué que s’il n’y avait pas une association non confessionnelles, beaucoup de personnes n’oseraient pas venir dans un monastère. » L’association fédère aujourd’hui plus de 200 passionnés et déborde le cercle des fidèles du Monastère. Des gens de tous les horizons professionnels et spirituels font désormais le détour par Solan.

Sœur Iossifia © Danièle Boone

Élégantes silhouettes noires d’une vivacité extraordinaire, les sœurs alternent vie monastique, collective et personnelle et travail au plus près de la nature. Sœur Iossifia, d’origine brésilienne, nous guide vers le petit ruisseau de 400 mètres qui traverse le domaine. « Tout le bassin versant est chez nous », annonce-t-elle fièrement. La présence d’écrevisses à patte blanche confirme la qualité de l’eau. Cette zone humide abritant une flore et une faune fragile a valu au domaine de Solan son inscription dans son intégralité dans le réseau écologique européen Natura 2000, une fierté pour les moniales. Du coup des études de la biodiversité ont été réalisées notamment par le conservatoire botanique de Porquerolles.

La chapelle de saint Gilles © Danièle Boone

 « Nous préférons confier notre terre à saint Gilles, notre patron, plutôt qu’aux produits chimiques, affirme Mère Hypandia. Ainsi, nous nous sentons vraiment partie prenant de la création, ni au-dessus, ni en dehors, mais bien au milieu. Il nous semble dès lors logique et cohérent d’exercer une spiritualité responsable et solidaire à l’égard du vivant. C’est ce que nous faisons ici et maintenant, à Solan. »

Pour les moniales de Solan, le respect du vivant est une évidence. « La terre a tout à nous donner si nous n’avons rien à lui prendre. La terre n’est pas d’abord à nous; on ne la fait pas sienne par la simple signature d’un acte de propriété; elle ne s’achète pas. Avant de nous en servir, avant de l’asservir, il nous faut la servir. On s’en approche et s’y consacre, elle devient nôtre parce qu’on s’y donne. Tout vient du don. »

Père Placide Deseille © Danièle Boone

« D’emblée, nous avions fait le choix du bio, explique le Père Placide. Le respect de la nature, pour nous, c’est la voix de Dieu. »

De fait, le christianisme oriental a toujours été attentif à la dimension cosmique de la révélation chrétienne. A la différence de l’église latine, plus attachée à la relation exclusive entre l’homme et Dieu. Dans l’orthodoxie, on ne dissocie pas le spirituel du matériel, le Créateur de la Création, l’homme de la nature. En 1988, Bartholomeos Ier, patriarche de Constantinople, a appelé les orthodoxes à contribuer à la lutte contre la crise environnementale. Depuis le monde orthodoxe s’est imposé comme un modèle d’engagement écologique, conciliant réflexion et action.

« Toute atteinte à l’environnement nuit à l’amour du prochain, résume le Père Placide. Il y a un lien profond entre l’homme et la Création. »

Récolte de choux-fleurs © Danièle Boone

 Le potager de un hectare avec sa serre permet à la communauté d’être quasi autonome en légumes. Au monastère,  on prépare  20 000 repas par an! Il fournit aussi le monastère Saint-Antoine.

Le réfectoire vu de l’extérieur © Danièle Boone

 Solan, un modèle écologique ? Le monastère remplit en tout cas bon nombre de critères : une certaine autonomie, le choix des circuits courts et de maîtriser la chaîne de production (outre le vin, les sœurs font des confitures, des chutney et des pâtes de fruits avec leur production, de la tapenade avec leurs olives et diverses conserves avec les légumes du potager) et quand elles ont des besoins, le fromage par exemple, elles se fournissent localement. A cela s’ajoute le souci d’aménager leur locaux avec des matériaux sains, le forage d’un puits, le traitement sur place des eaux de la cave qui sont réutilisées pour l’arrosage…

Selon Pierre Rabhi, Solan est « une sorte d’écosite expérimental d’intérêt général.  » L’impact est visible : des monastères orthodoxes roumains lui ont demandé conseil pour suivre la même démarche. Solan est devenu un exemple d’agro-écologie.

Construction de l’église © Danièle Boone

Parmi les grands chantiers entrepris par les moniales, la construction d’une église. Elles ont étudiée soigneusement l’architecture locale pour rester en harmonie avec le bâti de la région. Comme pour le chais qu’elles ont bâti, elles ont choisi la pierre de pays. Devant l’ampleur du projet, on peut s’étonner. « On a le temps, explique Mère Hypandia. Lorsqu’on n’a plus d’argent, on arrête le chantier. On a beaucoup été aidé par Chypre et la Grèce mais avec la crise… »

Mère Hypandia sonne l’appel à l’office sur la simandre © Danièle Boone

La vie quotidienne est rythmée par les sept offices de la journée. Mère Hypandia sonne l’appel sur la simandre, un instrument en bois traditionnel. La liturgie byzantine chantée en français a capella est célébrée selon la tradition du mont Athos, le monastère  Simones Pétra étant leur monastère de référence.

Le travail de la terre  n’est pas une activité «profane» qui prendrait place à côté de l’activité «sacrée» que serait la prière. D’ailleurs les sœurs n’abandonnent pas forcément leur tâche pour venir à l’office comme chez les  catholiques. Ce travail n’en est pas seulement sanctifié parce que les sœurs essaient de prier en même temps qu’elles l’accomplissent, mais c’est toute la cohérence de leur vie qui s’exprime dans la manière de se nourrir, d’aborder la terre, de la cultiver, en respectant sa nature, ses rythmes, sa finalité.

Lorsqu’on quitte le monastère, on y laisse une partie de soi, mais on emporte aussi une graine qui reste en nous et qui, peut-être un jour, germera et donnera ses fruits.

Gabriel Ullmann, Jean-Claude Noyé, Christine Kristof-Lardet, le père Placide Deseille, Pascale d’Erm et moi-même © Catherine Ullmann

Ma visite à Solan remonte à mi-octobre. J’y suis allée en compagnie de quatre journalistes de mon association des JNE (Journalistes pour la nature et l’écologie). Vous pouvez lire les articles de mes confrères parus sur notre site.
ici

L’association des amis de Solan organise chaque année, fin août, la Journée de la Sauvegarde de la Création, selon le vœu du Patriarche de Constantinople. C’est une journée de prière et d’échange.
Le site du Monastère de Solan

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02/02/2015 © Danièle Boone – Toute utilisation même partielle du texte et des photos est soumise à autorisation