Ce matin, j’ai ouvert ce livre et je ne l’ai plus lâché jusqu’au point final. Marie Astier a enquêté sur « notre pain quotidien ». Dans l’introduction, elle avoue que des années durant elle ne s’était jamais posé la question jusqu’à ce que, pour un autre reportage, elle devienne locavore pour une semaine. Elle ne devait manger que des aliments produits à moins de 100 km de chez elle. Et c’est là où elle s’est posé la question de la provenance de la farine et l’a posée à son boulanger qui n’en savait rien. Alors, elle a tiré le fil. « Il y a le pain religieux que l’on bénit, le pain social que l’on met sur la table, le pain politique qui provoque des révoltes, le pain touristique que l’on porte sous le bras, le pain gastronomique que l’on accommode de mille façons… » La charge symbolique et son poids culturel nous ont fait oublier que le pain est aussi une nourriture. « Dans l’océan de la malbouffe, notre pain apparaît comme un îlot préservé. Comme si le caractère artisanal de la boulangerie avait endormi notre vigilance. Pourtant, pas plus que le reste de notre alimentation, il n’a échappé à l’industrialisation.«
☞ Marie Astier a commencé son investigation par la tournée des fournils et plus exactement à la Sandwicherie – Boulangerie – Tarterie Marie Blachère de Bagnols-sur-Cèze dans le Gard. Cette chaîne parfaitement industrielle a le droit de s’appeler « Boulangerie » car elle fabrique son pain sur place. Et oui ! Le fournil est d’ailleurs exposé à la vue des clients, séparé de l’espace de vente par une simple vitre. En cette journée, 3000 baguettes seront vendues. L’enseigne affirme vendre 200 millions de baguettes par an en France. Toujours à Bagnols-sur-Cèze, Marie Astier a rendu visite à un boulanger de quartier au cœur de la ville où elle assiste à la fabrication du pain. Dans les années 1980, il vendait 1 200 baguettes par jour, aujourd’hui, il n’en vend plus que 170, tout juste de quoi rembourser le prêt, pas assez pour un salaire décent ! Toujours dans la même ville, elle a rencontré un autre boulanger qui s’est installé en zone commerciale périphérique comme Marie Blachère mais lui propose du haut de gamme et l’affiche d’emblée dans le nom de sa boutique « Caractères de pains ». Trois visites, trois profils mais sur les sacs de farines, Marie Astier constate qu’ils ne contiennent pas que du blé et qu’ils affichent l’ajout de gluten, d’enzymes et d’acide ascorbique.
Je ne vais pas réécrire le livre en résumé sur ce blog mais Marie Astier a ensuite enquêté du côté des minotiers. Il s’avère que, aujourd’hui, « ce sont les meuniers et les fabricants d’additifs qui conceptualisent les pains que l’on trouve sur les présentoirs de bien des boulangeries. » En effet, les farines sont désormais bourrées d’ « améliorants », des produits qui ne sont pas faits pour améliorer la qualité du pain mais la qualité de la vie du boulangers enfin pas tout à fait puisque les enzymes ajoutées seraient à l’origine d’un cas d’asthme du boulanger sur quatre ! Ces enzymes – des protéines donc – pourraient être également à l’origine des cas de plus en plus nombreux d’intolérance au gluten. La cerise sur le gâteau si j’ose dire est que, aujourd’hui, la plupart des minoteries appartiennent à des grands groupes comme Souchet qui contrôlent toute la chaîne. Propriétaires de coopératives, ils fournissent aux agriculteurs les semences et les produits phytosanitaires qui vont avec, leur rachète leurs grains qu’ils transforment en farine. Ils inventent les nouveaux concepts, style Bannette ou Rétrodor et proposent leur aide à l’installation aux artisans boulangers en échange de l’achat pendant plusieurs années de leur farine. Ces derniers deviennent alors dépendants. La boucle est bouclée.
A l’inverse, il y a les paysans boulangers, ceux qui font pousser leur blé, le transforme en farine puis en pain qu’ils vendent à une clientèle locale. Ils proposent donc un système agricole et alimentaire alternatif qui préserve la biodiversité. Les systèmes de production intensifs standardisent et font baisser la biodiversité. Encore une fois, le consommateur a le pouvoir d’acheter ou non. Alors demande Marie Astier dans le titre de son livre : quel pain voulons-nous ? Un pain qui contribue à notre bonne santé ou un pain, bon au goût, mais qui détériore notre santé ?
Quel pain voulons nous ? par Marie Astier
Éditions Seuil/Reporterre, 128 pages, 12 €
01/10/2016 © Danièle Boone
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