Après Les pathologies de la République et L’infantilisation générale, la revue éditée par l’association, Les amoureux des genres humains, s’intéresse aux animaux. Je ne connaissais pas cette revue ni cette association. Lorsque j’ai découvert le numéro bordé d’un liseré noir avec ce singe taxidermisé en couv, j’ai éprouvé une sorte de rejet mais le thème m’accrochait et les auteurs aussi. ☞ J’ai commencé par lire l’article d’Elisabeth de Fontenay. J’ai poursuivi avec celui de Frans de Waal et enchaîné avec Dominique Lestel. Et puis, j’ai lu tous les autres. Le numéro, très riche, est plein de contrastes. Il traite de l’intelligence animale, de zootechnie, de cafards, de requins… Il dit aussi nos maltraitances envers la vie y compris la nôtre. On y rencontre aussi Jules Michelet dans une interview pas si imaginaire que cela puisque ses réponses ont été intégralement extraites de ses écrits.
Nous traitons mal les animaux, très mal. Nous traitons mal les humains, animaux finalement comme les autres! Jocelyne Porcher, spécialiste de l’élevage industriel, démontre que les salariés des grandes entreprises sont considéré de la même façon que les vaches ou les truies, à savoir des forces productives, des numéros, en d’autres termes, rien. Il s’agit de faire des profits, le maximum de profits en un minimum de temps. Dans les exploitations laitières, les vaches qui ne produisent plus assez sont réformées, un terme soft pour dire envoyer à l’abattoir, à la mort. Les ouvriers eux, sont licenciés. Mais est-ce si différent ? Le nombre des suicidés du travail ne cesse-t-il pas d’augmenter ? Frans de Waal nous rappelle que les animaux sont parfois exemplaires comme ce macaque qui préfère renoncer à toute nourriture plutôt que d’électrocuter son congénère. L’expérience s’est arrêtée au bout de douze jours ! Dominique Lestel s’oppose à la vision de l’intelligence abstraite de l’éthologie cognitive et ses tests en labo. Pourquoi les animaux devraient penser comme des businessmen de Wall Street ? Selon lui, nous ne pouvons vraiment connaître qu’en vivant avec. Il cite avec admiration Bernd Heinrich, Jane Goodall et Christophe Boesch. L’éthologie doit se penser comme une science sociale aussi bien que comme une science cognitive et une biologie. Il pense haut et fort que chez les animaux, il existe d’abord des individus. Enfin, il analyse très justement la notion toxique et religieuse du fameux « propre de l’homme » qui fait que nous nous trouvons dans l’impossibilité de penser l’animalité sans devoir nous remettre profondément en question. « Il faut peut-être sortir de la philosophie pour penser certains des phénomènes les plus fondamentaux de notre temps, comme la vie en commun des hommes et des autres êtres vivants», conclut Lestel.
Collapsus 32, le dernier article est écrit par Jared Diamond, un professeur de géographie à l’université de Los Angelès et biologiste évolutionniste qui aime les chiffres. Mais sa démonstration est magnifique. En gros, il dit que dans les pays occidentaux on consomme 32 fois plus que dans les pays en voie de développement. Et on produit, 32 fois plus de déchets comme le plastique ou les gaz à effets de serres. Alors lorsqu’on envisage une augmentation de la population à 9 milliards d’ici le milieu du siècle, il explique qu’en terme d’augmentation de la consommation, le calcul n’est pas bon car entre temps, des pays comme la Chine ou l’Inde en plein essor économique auront probablement rattraper le niveau de consommation occidentale donc chaque chinois, chaque indien consommerait comme 32 kenyans. Les mathématiques étant imparables, je ne refais pas la démonstration, mais cela voudrait dire en gros que les taux de consommation mondiaux augmenteraient de 11%, ce qui équivaudrait sur les bases actuelles à consommer comme une population de 72 milliards de personnes !!! Il reste néanmoins un optimiste prudent : si on ne gaspille plus – on sait cultiver, pêcher, gérer la forêt, l’énergie de façon durable – on pourrait y arriver sans changer fondamentalement notre niveau de vie ! C’est un pari que nous voudrions naturellement tous voir gagné.
Ravages n° 3 – Adieu Bel Animal, Editions Descartes & Cie, 12 €
11/11/2009 © Danièle Boone – Toute reproduction même partielle du texte ou des photos est soumise à autorisation