Je ne veux pas vous casser le moral, mais il faut bien reconnaître qu’après les énergies vertes, c’est le recyclage qui ne tient pas ses promesses comme le démontre Flore Berlingen dans Recyclage, le grand enfumage – comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable paru aux éditions de l’échiquier. De fait, dès que l’industrie s’empare d’un processus vertueux, elle le transforme en business avec toutes les dérives qui vont avec. L’auteur de ce petit bouquin édifiant a réalisé avec un bel esprit synthétique une analyse sans appel.
☞ Le terme d’économie circulaire laisse à penser à un recyclage 100% comme le fameux « bottle-to-bottle» vanté par Danone et Nestlé qui induit qu’une bouteille triée devient une nouvelle bouteille. En réalité, les six plus gros producteurs de boissons dans le monde n’intègrent en moyenne que 6,6 % de PET recyclé à leurs bouteilles. Le recyclage à l’infini, sur le modèle du cycle biologique, est un fantasme qui se heurte à des limites physiques et techniques indépassables. L’auteur illustre son propos de très nombreux exemples. La composition des matériaux plastiques inclut de nombreux additifs et d’impuretés liées à leur utilisation qui sont des obstacles au recyclage : il faudrait presque autant de processus que de composés plastiques. La fibre de cellulose du papier peut être recyclée seulement à cinq reprises, dans des gammes de qualité inférieure à chaque fois. Moins de 1% du textile est recyclé en nouveaux vêtements…
Mais pire, le recyclage permet d’alimenter le greenwashing de certaines grandes enseignes favorisant le jetable tout en donnant bonne conscience aux consommateurs. Flore Berlingen va même plus loin en affirmant qu’il invite à la surconsommation. Ainsi le programme de collecte de vêtements initié par H&M et repris par d’autres marques, Calzedonia, Camaïeu, Cyrillus, C&A… donne l’impression que la mode peut être durable. Il leur permet surtout de vendre plus de vêtements à durée de vie limitée. Côté industriel, il faut alimenter la machine toujours plus pour que l’activité soit rentable. Cette logique de volumes, caractéristique du modèle économique capitaliste, ne peut fonctionner en l’absence de croissance. Autrement dit, l’industrie du recyclage se nourrit du problème qu’elle cherche à corriger, et elle l’accentue encore.
Seule solution pour sortir de l’ère du jetable, diminuer ses déchets en consommant différemment, localement sans emballage par exemple, remettre au goût du jour la consigne et le réparable et surtout créer des lois contraignantes pour les industriels. Mais, entendons nous bien, pour Flore Berlingen, il n’est pas du tout question d’abandonner le tri, car quoiqu’on fasse, nous produirons toujours des déchets mais moins, ils seront nombreux, plus ils seront gérables et recyclables.
Recyclage, le grand enfumage – comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable, éditions de l’Échiquier, 128 pages, 13 €
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14/12/2020 © Danièle Boone