Le temps profond des rivières de Suzanne Husky

Suzanne Husky veut faire de son art un outil militant. Ce n’est pas un hasard si après un diplôme aux Beaux-Arts de Bordeaux, elle a étudié l’agroécologie. Lorsqu’elle a compris que la beauté des paysages qui l’entouraient était en grande partie l’œuvre des castors réalisée sur des millions d’années, l’animal a trouvé une place toute particulière au cœur de son travail. Histoire des alliances alterpolitiques avec le peuple castor, est une immense frise historique visible dans son exposition au Drawing Lab. Peinte à l’aquarelle sur un rouleau de papier, elle s’étire sur près de huit mètres de long. Le plus grand rongeur d’Europe est le héros de cette nouvelle «.tapisserie de Bayeux.» conçue en collaboration avec Baptiste Morizot. Elle y raconte l’époque lointaine où le « peuple castor » était considéré comme un allié pour l’humanité et pourquoi, il serait bon qu’il retrouve cette place aujourd’hui.


☞ Le castor a produit des paysages aquatiques, zones humides foisonnantes de biodiversité et fut vénéré, parfois déifié, pour cela. On le retrouve aux fondements de nombreuses mythologies, contes et légendes. La France garde des traces de sa présence en tout lieu, comme en témoignent les nombreux toponymes  qui font référence à lui :  Beuvry, Beuvron, Buverchy, Bivre, Vibre, Bièvres, Bibracte. En effet, autrefois, on l’appelait le Beuve  comme il était nommé autrefois, ce nom venant du latin bèber et du gaulois bèbras.

Le castor apparaît aujourd’hui comme une des solutions fondées sur la nature pour réparer les milieux aquatiques bien mal en point à cause des humains. Le rapport du GIEC de 2022 considère même la collaboration avec les castors comme incontournable pour faire face au réchauffement climatique, tant du point de vue scientifique qu’économique.

C’est pourquoi Suzanne Husky s’emploie à restaurer dans les imaginaire ce qu’est une rivière en bonne santé.  Une série d’illustrations invite à visualiser les composantes des problèmes complexes que sont les inondations, les sécheresses, les incendies, ou encore les conséquences des méga-bassines. Et, elle communique de manière percutante sur une vraie solution : l’alliance avec les castors. Rien de bien compliquer en fait, puisqu’il s’agit simplement de les laisser œuvrer. Géo-ingénieurs et paysagistes hors pair de ces écosystèmes fragiles, ils restaurent les ripisylves, régulent les rivières et font émerger une végétation luxuriante et une biodiversité accrue.


Suzanne Husky croit à un futur possible, en harmonie avec les castors. A travers ses dessins militants accompagnés de texte à visée didactique, elle démontre comment leur présence pourrait agir comme un remède sur les paysages mais aussi sur le cycle de l’eau. Et pour achever de convaincre, elle fait renaître dans ses jolies aquarelles le visage oublié des rivières en bonne santé et des milles et une espèces en déclin qui peuplent d’ordinaire son écosystème.

Deux vidéos complètent les illustrations présentées dans l’exposition. Dans Rivière possible elle filme en surplomb de rares cours d’eau de montagne où des familles de castors ont restitué aux rivières leur aspect optimal et dans le film Le son d’une nouvelle cascade, elle nous présente Patti Smith et ses deux castors, Pumpkin et Pye. La naturaliste explique comment elle a modifiée ses comportements pour, peu à peu, partager leur univers.

Face à l’urgence climatique et la disparition du vivant, modifier l’imaginaire et réécrire une nouvelle histoire, pour donner aux gens d’agir est, sans doute, une des voies souhaitables. L’art en s’alliant avec la science a un rôle primordial. C’est en tout cas ce que démontre le travail de Suzanne Husky dont les aquarelles vont illustrer un essai qu’elle cosignera avec Baptiste Morizot. Intitulé L’Eau ou la vie. Alliance avec le temps profond face au changement climatique, il sortira aux éditions Actes Sud en septembre prochain.

Drawing Lab, jusqu’au 7 avril 2024. 17, rue de Richelieu, 75001 Paris.

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1 avril 2024 © Danièle Boone