Environ 2000 personnes ont participé à la marche pour la forêt initiée par l’intersyndicale de l’ONF (Office National des Forêts). Pendant un mois, les agents de l’ONF ont parcouru la France en suivant quatre chemins, depuis Mulhouse, Perpignan, Strasbourg et Valence. A chaque étape, des citoyens les ont accompagnés, hébergés. Ce fut aussi l’occasion d’organiser des projections du Temps des forêts de François-Xavier Drouet ou de Menaces sur la forêt, un documentaire de Benoit Grimont qui alertent sur l’industrialisation de la forêt. Les projections étaient suivies de débats toujours passionnants. Le public a ainsi pris conscience de cette réalité pour le moins inquiétante. Le rassemblement pour la forêt, une journée festive pour clôturer cette marche, a eu lieu à Saint-Bonnet-de-Tronçais jeudi 25 octobre. Le lieu est symbolique car au cœur d’un des plus belles chênaies d’Europe, créée par Colbert et, qui plus est, la patrie de François Terrasson, écologue, chercheur du Muséum National d’Histoire Naturelle qui nous a quitté en 2006, auteur entre autres, de La peur de la nature. 1500 personnes étaient présentes. Nombreux étaient les gardes de l’ONF, ce qui montre leur engagement. C’est bien que l’institution soit remise en question au sein d’elle-même, par ses membres, eux mêmes suivis par les citoyens.
☞ Le matin, les débats étaient consacrés au bilan marche, au régime forestier, à la situation du service public et aux perspectives d’action. La profession ne va pas bien comme en atteste la cinquantaine de suicides de forestiers en 10 ans. En proportion, c’est plus qu’à France Télécom. En trente ans, 4 emplois sur 10 ont été supprimés. L’ONF est ainsi passé de 15 000 à 9 000 salariés. Le pourcentage de fonctionnaires ne cesse de diminuer au profit des contractuels. De restructuration en restructuration, les équipes sont modifiés, les territoires agrandit, ce qui obligent les forestiers à être plus souvent dans leur voiture ou devant un ordinateur, plutôt que dans la forêt. Et, goutte d’eau qui fait déborder le vase, le fameux uniforme vert est supprimé. A la place, un gilet fluo, comme les chasseurs !!! Les anciens ont le droit de continuer à le porter mais les nouveaux n’en reçoivent plus. Un symbole, certes, mais qui remet en cause la reconnaissance du métier des protecteurs de la forêt publique.
Parallèmenent, la direction prévoit de prélever en 2020 un million de mètres cubes de bois de plus qu’en 2014. Cela ne peut se faire qu’au détriment de la qualité. Pour satisfaire l’industrie avec des produits homogènes, la forêt doit s’adapter aux machines. Là où un bûcheron coupait 20 arbres dans une journée, les abatteuses en font 200 ! Les chiffres parlent : on voit bien la puissance destructrice des machines d’autant qu’elles coûtent cher et qu’il faut les rentabiliser ! Dans les scieries, les troncs doivent eux-aussi être normalisés. Les arbres sont abattus de plus en plus jeunes et la pratique de la coupe rase se généralise, une vraie aberration pour la bonne santé de la forêt et pour la biodiversité. Résultat : dans ces champs d’arbres, on laboure et on apporte intrants et pesticides, détruisant le fragile sol forestier.
L’après-midi, il a été question de la forêt en tant que bien commun. En effet, il faut la considérer dans sa globalité, au-delà du privé et du public, pour tous les services environnementaux rendus : filtration de l’air et de l’eau, accueil de la biodiversité, captation du carbone… Et pour qu’ils perdurent, il faut protéger la forêt. On peut en tirer un peu de profit mais de manière raisonnable ou durable, pour employer un mot à la mode. Le pire serait de suivre le modèle américain : des forêts mises sous cloches et tout le reste, des usines à bois. Alors, le projet du Parc national des forêts de Champagne et Bourgogne est-il une bonne ou une mauvaise nouvelle ? On découvre combien François Terrasson, opposé à la protection de la nature qui pour lui, était, de fait, un droit à détruire, était précurseur. Des solutions sont possibles pour lutter contre ce processus d’industrialisation qui s’emballe comme le groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan ou celui du Chat sauvage qui rachète et exploite en futaie irrégulière des morceaux de la forêt morvandelle menacée par l’enrésinement. Les ZAD, les créations de fonds de dotation pour réinventer la propriété sont autant d’expériences qui montrent que beaucoup de choses sont possible si les citoyens s’expriment en masse et se réapproprient le vivant que les industriels et les économistes leur ont volé !
Entre temps, les visiteurs pouvaient assister à la projection-débat du film Si la forêt m’était comptée avec Daniel Auclair, à une pièce de théâtre, L’Homme qui plantait des arbres par Michel Durantin de la compagnie, le P’tit Bastringue, d’après le texte de Giono, des balades en forêt à la découverte des chênes remarquables, du débardage à cheval et même des performances de danse. Et le chapiteau associatif réunissant les associations Adret Morvan, 3B – bouchure -bocage – bourbonnais, Nature 18, SOS Forêt, FNE, Les amis de la forêt de Tronçais… était le lieu de tous les échanges !
Cette journée s’est achevée avec la lecture et la signature du manifeste par l’intersyndicale de l’ONF et des associations de défenses de l’environnement dont voici le texte :
« La planète Terre n’a pas besoin d’émissions de CO2 supplémentaires. Elle a besoin de résilience et de forêts qui la refroidissent. » C’est en ces termes que le 25 septembre 2017, 190 scientifiques de la communauté internationale ont interpellé les responsables de l’Union européenne, posant ainsi en termes clairs l’enjeu vital pour la biosphère d’une gestion forestière réellement durable.
La forêt n’est pas un objet de spéculation financière de court terme.
C’est le rempart de nos enfants face à une crise écologique et climatique qui s’emballe. C’est l’eau potable, la biodiversité et la résilience, l’épuration de l’air, le stockage d’une partie du carbone en excès dans l’atmosphère et la possibilité d’en stocker dans le bois matériau. C’est aussi notre lieu de connexion avec la Nature. Renoncer à tous ces bienfaits serait pure folie. C’est pourtant ce qui se profile en Europe et en France, métropolitaine comme dans les départements ultramarins, avec les incitations croissantes à transformer les forêts pour satisfaire des appétits industriels de court terme non soutenables. Comble du cynisme, ces orientations sont présentées depuis le Grenelle de l’environnement sous couvert d’écologie.
Les forêts publiques françaises incarnent particulièrement ces enjeux. Bien qu’elles ne représentent que 25 % des surfaces forestières de France métropolitaine, elles correspondent aux cœurs historiques des massifs forestiers. Ce sont des surfaces boisées depuis de nombreux siècles, qui concentrent les écosystèmes les plus matures, et ainsi les stocks de biodiversité et de carbone les plus importants de tous les écosystèmes.
Le droit forestier français, vanté dans le monde entier comme une préfiguration historique du concept de gestion durable, consacre la forêt comme bien commun. Il prévoit des outils de protection des forêts privées et publiques par les pouvoirs publics.
Pourtant, le principal instrument de cette politique, l’Office national des forêts, subit un véritable détournement de ses missions d’intérêt général. La privatisation en cours de ses activités régaliennes préfigure la disparition de ce service public et une politique forestière au rabais. Ces évolutions actuelles à l’ONF et celles à l’œuvre dans le privé menacent de tirer vers le bas toutes les « garanties de gestion durable », en forêt publique comme en forêt privée.
La démarche de privatisation de l’Office national des forêts, et l’industrialisation croissante qui l’accompagne doivent être reconsidérées au regard des multiples enjeux des forêts pour la société d’aujourd’hui (climat, biodiversité, emploi et économie). La notion de bien commun impose par ailleurs que la société civile prenne part aux décisions forestières, et dispose d’un droit de regard sur la gestion des forêts publiques qu’elle reçoit en héritage et doit transmettre à ses enfants.
Nous soussignés, citoyens et représentants d’organisations concernés par le sort de la biosphère, réunis ce 25 octobre 2018 au pied des chênes pluricentenaires de la forêt domaniale de Tronçais, demandons solennellement la convocation d’un grand débat public, que la forêt française mérite aujourd’hui plus que jamais depuis plus d’un siècle.
Mobilisés, vigilants et unis, nous entendons nous rencontrer régulièrement pour débattre des orientations cruciales de la politique forestière, élargir et amplifier la dynamique enclenchée ce jour.
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26/10/2018 © Danièle Boone
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