Un sol vivant au jardin

Sol-couvert-foret
Inspirés par l’observation de la nature, notamment le modèle forestier où le sol n’est jamais nu et où tout est recyclé naturellement grâce à de nombreuses petites bêtes, bactéries et autres micro-organismes, les adeptes du jardinage sur sol vivant préconisent deux grands principes : non travail du sol et couvert permanent.

☞ 90% de la vie souterraine se trouve dans les vingt premiers centimètres du sol. On comprend donc que tout travail la perturbe profondément. Oui, mais l’homme laboure et travaille son sol depuis des millénaires. Ne plus le faire est donc un renversement complet d’approche. Le jardinier qui souhaite s’y adonner doit commencer par travailler sur lui-même, renoncer à sa bêche et à son motoculteur, et oser faire confiance aux vrais spécialistes que sont les vers de terre, des champions pour ameublir le sol (cf encadré). De très nombreux autres organismes, des microbes, des champignons, des bactéries, s’activent également en permanence pour transformer la matière organique laissée à la surface du sol en humus. On peut définir ce dernier comme étant l’ensemble des matières organiques du sol ayant subi de telles transformations qu’on ne peut plus reconnaître leurs origines, qu’elles soient végétales (morceaux de feuilles, de bois, etc.) ou animales (excréments, mues, cadavres). C’est une des clefs du jardinage sur sol vivant. Il améliore les propriétés du sol quelle que soit sa nature. Ainsi il allège les sols très argileux et sa couleur noire leur permet de se réchauffer plus rapidement. Dans les sols sableux, l’humus retient l’eau et les éléments nutritifs.

Grenouille rousse
Convaincu, vous décidez de passer à l’acte mais attention, si vous vous dites, « bon à partir de demain, je ne travaille plus ma terre et cela va être génial », l’échec est patent. En effet, si, depuis des années, votre potager a été travaillé mécaniquement ou même simplement si il a été régulièrement retourné à la bêche, la terre est immanquablement compacte et la vie du sol appauvrie. Il vous faudra donc la soigner notamment par un travail tout en douceur. Il existe un outil formidable pour cela : la grelinette ou bêche écologique. Munie de 4 à 6 dents, elle ameublit la terre sans la chambouler. Et, cerise sur le gâteau, elle préserve le dos! Selon l’état de votre sol, il vous faudra réduire ainsi progressivement son travail pendant trois ou quatre ans. Et un jour, votre terre sera devenue grumeleuse, vivante. Elle n’aura plus besoin d’être travailler car elle attirera tous les êtres vivants qui s’en chargeront : des insectes, invertébrés, champignons, bactéries et tout un tas de microbes. Pour les animaux les plus gros, ce sera des vers de terre, des petites souris, des campagnols, des taupes. Tous ces animaux interagissent ensembles, créent de l’activité biologique en se mangeant les uns les autres selon le principe de la chaîne alimentaire et participent à l’équilibre et à la vie du sol.


LiseronLe principe de la fertilisation en jardinage sur sol vivant est de nourrir le sol et non directement les plantes qui y poussent. En forêt, ce sont les feuilles et le bois mort qui y contribuent. Mais dans un jardin, les feuilles des arbres environnants ne suffisent pas à entretenir le stock d’humus. L’apport de compost fait maison est un bon moyen d’assurer son renouvellement. Gilles Domenech, le chantre du jardiner sur sol vivant, n’y est cependant pas favorable. Pour lui, l’idéal est d’étaler directement les matières organiques qui seront transformés sur place en humus : tonte, feuilles mortes, BRF, épluchures. D’autres expérimentateurs, dont je suis, y restent fidèles. Personnellement, je cultive mes pommes de terres sous paillis de compost recouvert de tonte sèche ainsi les parcelles qui leur sont consacrées sont enrichies en compost. Avec les rotations, l’ensemble des parcelles de mon potager est enrichi en compost sur 7 ans.

légumineusesIl est également recommandé au jardinier qui passe en sol vivant de privilégier la culture des légumineuses comme les haricots, les fèves, les pois. Associées à une bactérie, elles ont la particularité de capter l’azote de l’air pour le fixer sur de petits nodules au niveau des racines. Les petites boules blanches bien visibles sur leurs racines sont de l’azote directement assimilable par les plantes qui seront cultivées lors de la rotation suivante.

Selon l’agronome Marc Dufumier, « aucun rayon du soleil ne doit tomber directement sur le sol ». Les premiers centimètres sont fragiles, sensibles à l’érosion, au tassement, au dessèchement, à la surchauffe en été, au gel en hiver, c’est pourquoi il faut protéger la surface du sol. C’est le rôle du paillage dont les effets ne se résument pas au maintien d’une bonne humidité en été ou à la limitation des mauvaises herbes. Le paillage a, de fait, la même fonction que celle de la litière de feuilles en forêt sous laquelle foisonne une vie qui, petit à petit, transforme les feuilles en humus. De plus, en paillant l’ensemble de son jardin toute l’année, on nourrit en grande partie le sol et c’est autant de matières organiques de moins à apporter sous d’autres formes.

Adventices-paillisOn peut pailler de mille façons, avec de la paille qu’on choisira bio mais aussi tout ce qu’on peut couper dans les massifs de fleurs ou d’arbustes. Personnellement, j’ai fait le choix du foin. Je laisse relativement pousser l’herbe de ma prairie et je fauche avant la montée à graines. Je la laisse sécher sur place puis je la ramasse et la conserve à l’abri des intempéries. Sur place, je l’enrichis des adventices arrachées comme le liseron. Et l’hiver, je couvre les parcelles non cultivées du potager avec des feuilles mortes préalablement broyées à la tondeuse. Je réserve le BRF aux massifs de fleurs.

Artichaut et phacélie
Un jour, François Crutain, maraîcher bio à Cuffy, m’a dit « Plus on cultive sa terre, meilleure elle est! » Quelques années plus tard, je confirme à condition, bien sûr, de respecter son sol. Encore une fois, la nature nous sert de modèle. Dès qu’une surface est mise à nu et laissée à elle-même, immédiatement, des graines viennent la coloniser. Sur du macadam, le moindre interstice où peut s’accumuler un peu d’humus est immédiatement conquis. J’adore voir des pissenlits fleurir au milieu de nos petites routes de campagne ! De fait, le sol nourrit les plantes mais c’est la plante qui fait le sol. Ses racines jouent un rôle énorme. Elles aèrent le sol et sécrètent des composés organiques assimilés par les organismes du sol en particulier les champignons dont les filaments vont beaucoup plus loin et peuvent explorer des volumes de sol inaccessibles aux racines. En divisant finement les particules de terre, racines et réseau mycorhiziens contribuent à construire la structure grumeleuse du sol. Les engrais verts comme la phacélie participent par leurs racines à ameublir le sol.

A la mort de la plante, les anciennes racines deviennent un gigantesque réseau d’aération du sol. La destruction des cellules est beaucoup plus rapide à l’intérieur de la racine, les cellules de l’écorces racinaire étant beaucoup plus coriaces. Il subsiste donc une sorte de manchon, dans lequel l’air du sol peut aisément circuler. J’ai pris l’habitude lors du nettoyage d’automne de laisser les racines des tomates, poivrons et aubergines dans le sol et d’évidence, au printemps, à ces endroits là, la terre est plus grumeleuse.

diversitéTout cela peut paraître fastidieux à l’adepte du motoculteur et pourtant, lorsqu’on associe à ce sol vivant couvert en permanence, la diversité des cultures à l’intérieur des parcelles, les résultats sont incroyablement améliorés. On découvre tout juste les stratégies des plantes, comment elles se défendent des prédateurs et attirent les auxiliaires, comment elles communiquent entre elles, comment elles mémorisent… Et elles n’ont pas fini de nous surprendre. En leur offrant le meilleur environnement possible, un sol vivant donc, et en les laissant s’exprimer, elles collaborent incontestablement avec le jardinier. En meilleure santé, pleine d’énergie, elles résistent mieux aux maladies et produisent davantage. Moi qui suis modestement sur le chemin d’un sol vivant, j’en constate déjà tous les effets positifs et vous invite donc à vous y mettre au plus vite.


Ce texte est paru dans le numéro d’été du Traîne-Buisson, le journal de l’Association Nature 18.

Pour aller plus loin :
☞ A (ré)écouter Planète Nièvre, notre émission consacrée au sol vivant
Jardiner sur sol vivant –  Quand les vers de terre remplacent la bêche! par Gilles Domenech. Préface de Dominique Soltner. Éditions Larousse, 14,90 €
☞ Les clefs d’un sol vivant – comment améliorer la terre de son jardin ? par Blaise Leclerc. Éditions Terre vivante, 25 €


14 août 2017 © Danièle Boone – Toute utilisation même partielle du texte est soumise à autorisation.