La Suède sauvage de Bruno Liljefors

Bruno Liljefors a consacré l’essentiel de son œuvre aux animaux sauvages observés dans leur environnement naturel. Célèbre dans son pays, la Suède, il est inconnu en France. Au Petit Palais, une centaine d’œuvres, peintures, dessins et photographies retracent la carrière de cette grande figue de la peinture animalière de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

Bruno Liljefors a grandi à Uppsala, une ville au nord de Stockholm, entourée de vastes étendues sauvages. L’enfant est de santé fragile. Ses parents l’incitent à passer un maximun de temps à l’extérieur pour fortifier son corps et à multiplier les exercices et épreuves d’endurance. Il devient gymnaste et acrobate ce qui lui permet de grimper dans les arbres, parfois à des hauteurs vertigineuses, pour y faire des affûts au plus près des oiseaux nicheurs. Mais il a l’âme naturaliste et sait rester immobile et silencieux pour se faire oublier et ne pas déranger. Il est ainsi en mesure de visualiser les moindres détails de la vie des animaux au quotidien. Armé de crayons et de carnets de croquis, il immortalise ce qu’il observe.

☞ Il entre à l’Académie royale de Suède à Stockholm en 1879 mais les leçons sont trop conventionnelles pour lui. Il y fait cependant la rencontre d’Anders Zorn, son ami pour la vie, qui va devenir l’un des peintres les plus célèbres de Scandinavie. Il part étudier la peinture animalière à Düsseldorf, voyage dans les Alpes bavaroises, puis en France, où il rejoint une colonie de peintres suédois regroupés autour Carl Larsson – autre figue clé de l’art scandinave – à Grez-sur-Loing, au sud-est de Paris. Sur les traces des peintres de Barbizon, il s’adonne au bonheur de la peinture en plein air. De ce séjour, il retient aussi la leçon du japonisme alors très en vogue en France.

En 1884, il rejoint son pays natal pour se consacrer à la représentation de la nature suédoise. Le peintre s’intéresse particulièrement aux relations que les animaux entretiennent avec leur environnement. Il s’attache à les représenter dans leur biotope au plus près de leur réalité. Pour cela, il met au point des dispositifs pour voir sans être vu et s’adonne à de longs affûts. D’une certaine manière, il décentre son œil pour se mettre au niveau de l’animal.

Pour lui, la naissance des animaux, leur apprentissage auprès de leurs parents, la parade amoureuse, le nourrissage des petits et la chasse sont des éléments dignes de figurer sur la toile, dans des formats parfois très grands, réservés à l’époque à la peinture d’histoire. Ainsi, Une famille de renards, tableau peint en 1886, apparaît comme une sorte de manifeste. Bruno Liljefors veut montrer comment vivent les animaux. Au moment du sevrage, la renarde apporte du gibier à ses petits pour les préparer à leur nourriture future mais aussi à la chasse qu’ils devront bientôt pratiquer pour se nourrir. Et surtout, le peintre  les représente dans leur environnement. C’est au début de l’été, que les renardeaux atteignent l’âge de se nourrir de proies, le moment de la floraison du cerfeuil sauvage, tandis que les pissenlits sont montés en graine.

Le peintre travaille à la fois le côté très naturaliste et, en même temps, le côté décoratif en jouant notamment des contrastes : le rouge éclatant des bouvreuils pivoines sur fond de grisaille.

Les chardonnerets élégants sont souvent au cœur des compositions les plus expérimentales de Liljefors. À l’instar des gravures sur bois japonaises, la palette des couleurs est restreinte ; dans l’image, le ciel domine. Daté de 1888, le tableau illustre l’évolution de l’artiste vers une peinture de plus en plus expressive, ne compromettant toutefois ni la netteté ni la précision de la représentation des mouvements et du comportement des oiseaux.

Chasseur lui-même, l’artiste est particulièrement attentif aux scènes de prédation, aux aptitudes exceptionnelles que possèdent certains animaux en la matière. Ici un chat croque un oisillon. Il a peint aussi un autour des palombes aui attaque des tétras-lyres, un chien attaque un renard. Darwin est passé par là. Dans le monde de Liljefors, les animaux, les plantes, les insectes et les oiseaux participent d’un grand tout, où chacun a son rôle à jouer. Les espèces sont le fruit d’une évolution permanente et d’adaptations. Liljefors n’évite ni le drame, ni la cruauté du cycle naturelle, considérant la sélection naturelle et la lutte pour la vie comme primordiale. C’est dans ce cadre qu’il s’intéresse aussi au mimétisme comme dans l’époustouflant tableau des Courlis et à la capacité de certains de pouvoir changer de robe comme le lièvre variable choisi pour l’affiche de l’exposition.

En 1895, Liljefors change de style. Avec Le Hibou grand-duc au cœur de la forêt, il passe d’une peinture de la description à une peinture davantage symbolique. Ce grand duc qu’on a un peu de mal à percevoir est en fait une sorte de totem. Pour les peuples nordiques, la forêt profonde est le berceau des croyances folkloriques et le décor inquiétant des contes de fées. Dans le contexte du nationalisme romantique de la fin du XIXe siècle, les récits considérés comme traditionnellement suédois connaissent un regain d’intérêt et sont mis en valeur. Liljefors transpose cette atmosphère dans la peinture animalière en représentant ce hibou dans les profondeurs de la forêt.

En 1894, le peintre change de vie et s’installe au bord de la mer. Désormais, il ne peint plus les animaux des terres – tétras lyre, moineaux, renards – mais ceux de la mer. Au cours de l’hiver 1895-1896, il commence un tableau représentant deux pygargues attaquant un plongeon arctique sur une mer déchaînée. Le tableau, présenté lors de l’Exposition d’art et d’industrie de Stockholm en 1897 est acheté par le Musée national de Suède. Il devient l’une des peinture les plus célèbres de Liljefors mais l’exactitude éthologique est critiquée : à l’état d’éveil, un plongeon arctique ne se laisserait pas surprendre par un pygargue à queue blanche, peu rapide, et s’envolerait bien vite.

La taille imposante de cette toile de 1901 intitulée Brise du matin et le point de vue qui se situe en pleine mer génèrent un sentiment d’immersion. Liljefors réussit à recréer un contre-jour saisissant entre la sombre silhouette des eiders et le ciel jaune sur lequel ils se découpent. La lumière éblouissante du matin se reflète sur les ondes. De près, on perçoit la technique de l’artiste, qui laisse apparaître la toile en réserve. Tout cela donne à l’œuvre une dimension onirique qui, à l’époque, a déconcerté les spécialistes.

Peintre reconnu, il connaît la gloire et le confort matériel. Mais ce qu’il gagne en stabilité, il le perd en inspiration. L’œuvre tardive est beaucoup moins séduisante. L’exposition en fait abstraction, un choix qui permet de découvrir le meilleur de Liljefors, peintre animalier amoureux de la nature et grand observateur du vivant.

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Petit palais
, jusqu’au 16 février 2025
Avenue Winston Churchill
75008 Paris
Tél. : 01 53 43 40 00
www.petitpalais.paris.fr

Catalogue, 160 pages, 35 €

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12/01/2024 © Danièle Boone

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