Dire non au TAFTA -TTIP, un engagement citoyen

A la demande de la mairie de Jouet-sur-L’Aubois, une petite municipalité dans mon coin, je suis allée parlé bénévolement du TAFTA/TTIP à un public pas très nombreux mais très attentif. Un courrier du collectif stop-TAFTA du Cher suggérant à tous les maires du département de placer symboliquement leur commune hors-TAFTA, les avaient alerté. Belle démarche. Il faut dire que cette commune s’est déjà engagée dans des actions qui font sens comme  « objectif zéro pesticide ». Après un court exposé, le débat s’est engagé. Timide au départ, il est devenu passionné et … passionnant. A l’idée initiale d’impuissance a succédé la nécessité d’un engagement citoyen. L’image du petit colibri si chère à Pierre Rabhi a encore fait son miracle. Même si plusieurs dans la salle ont parlé de pot de terre contre pot de fer et de démarche utopique, la prise de conscience était là et l’envie d’agir aussi. En partant, chacun s’est promis de commencer dès demain en informant autour de soi sur ce TAFTA/TTIP qui  risque d’impacter très sérieusement nos vies quotidiennes. Alors, je me suis dit qu’en publiant le texte de ma présentation, je ferai aussi ma part de colibri.

☞ Depuis 2013, les États-Unis et l’Europe négocient le TTIP, Transatlantic Trade and Investment Partnership c’est à dire Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Ce traité a pour objectif de libéraliser au maximum le commerce entre l’Europe et les États-Unis en réduisant les droits de douane et les différences de réglementations. La manne est fabuleuse puisque cet immense marché concerne 800 millions de consommateurs et représente 46% du PIB mondial. Il est nommé Tafta, Accord de libre-échange transatlantique, par ses détracteurs, nom qui aurait du être le sien mais les Américains n’ont pas un bon souvenir de l’ALENA, l’Accord de libre-échange nord américain négocié il y a une vingtaine d’années entre le Canada, les États-Unis et le Mexique et qui a privé des millions de travailleurs de leur emploi ou de leurs terres. C’est pourquoi, ils ont préféré le terme de partenariat.

Petit historique
En 1947, création du GATT. Cet accord général sur les tarifs douaniers et le commerce est sans aucun doute le premier maillon de la chaîne mais à cette époque les frontières entre l’État et le secteur privé étaient encore bien définies.
En 1994 , création de l’OMC – organisation mondiale du commerce. Cette fois, les frontières entre l’État et le secteur privé sont bien plus poreuses et les grandes entreprises ont fait des pressions considérables pour imposer leurs priorités.
Dès 1995, le TABD, Dialogue commercial transatlantique, a été initié par le Département américain du commerce et la Commission européenne.
Comme la machine OMC était très lourde, et que le cycle de négotiations commerciales initiées à Doha en 2001 n’en finissait pas d’aboutir, les grandes puissances se sont mises en quête de partenaires avec lesquels conclure des accords de libre échange.
En septembre 2012, l’OMC en recensait pas moins de 400. En moyenne, chaque membre de l’OMC était signataire de 13 accords différents.
La Commission européenne a obtenu le 14 juin 2013 un mandat de la part de tous les États membres pour négocier le TTIP avec les États-Unis sans que les Européens aient été consultés. Il se négocie à huis clos dans la plus grande opacité. Sous la pression de Paris et Berlin, la Commission européenne a récemment accepté une consultation d’une partie des documents de négociations (le 10ème cycle seulement) mais il faut en faire la demande à l’avance. On a droit qu’à 45 minutes. On doit être seul, ne pas avoir de tél portable pour ne pas reproduire de document. Selon des témoins, la salle de lecture localisée dans le secrétariat général des affaires européennes, dépendant de Matignon est aveugle et cela se passe sous haute surveillance. Les députés européens peuvent également accéder aux documents à Bruxelles dans des conditions à peu près similaires

L’harmonisation des règlementations
Pour que le grand marché puisse fonctionner, il faut parvenir à une convergence entre les normes américaines et les normes européennes. L’Europe affirme qu’elle gardera ses lignes rouges à ne pas dépasser mais il est probable que les Américains n’accepteront pas de remonter l’exigence des leurs. Exemple souvent cité, le poulet lavé au chlore est autorisé aux États-Unis et interdit chez nous. Après la signature, nous risquons fort d’avoir nous aussi dans nos assiettes du poulet lavé au chlore. Idem pour les OGM dont les Européens ne veulent pas. Il est fort probable que le nivellement des normes sociales, économiques, sanitaires, culturelles et environnementales se fasse par le bas. Et, avec ce traité, aucun retour n’ est possible. Une norme allégée ne pourra plus être revue à la hausse mais seulement encore davantage à la baisse.

Le TiSA, l’outil du Tafta
Parallèment au TAFTA se négocie le TiSA – Trade in Service Agreement ou en français, Accord sur le commerce des services. Qu’est ce qui se cache derrière ce mot de service, et bien, en gros, tout le secteur tertiaire. En France, c’est 6 millions de salariés avec un chiffre d’affaires de plus de 900 milliards d’euros selon les chiffres de l’Insee en 2011. Les négociateurs prétendent mettre en place les règles commerciales de demain en réduisant au maximum les barrières au commerce tout azimut. Les services (transports, éducation, santé, nouvelles technologies, recherche, banques, etc.) seraient ainsi ouverts à la concurrence internationale. Imaginez, demain, l’école de vos enfants gérée par des polonais, des espagnols, des suédois ou, bien sûr, des américains avec les programmes et l’idéologie qui vont avec! Autres exemples : une partie de l’assurance chômage pourrait être privatisée et la retraite démantelée au profit des fonds de pension. Bref, cela pourrait bien signer la fin du service public.
Les États- Unis ont également la ferme volonté d’obtenir la libération des flux de données, c’est-à-dire de permettre l’échange sans entrave entre pays de données personnelles et financières. C’est assurément une grave menace pour les libertés fondamentales.

Les tribunaux arbitraux
Le traité permettrait aux entreprises de poursuivre un pays si elles estiment que leur activité commerciale est malmenée par une législation. Ces procès ne se dérouleraient pas dans le cadre habituel de la justice du pays. Des tribunaux arbitraux indépendants des gouvernements trancheraient les conflits entre entreprises et états. Ces arbitres ne seraient donc pas des hommes de lois. On peut toutefois douter de la neutralité de ces arbitres soi-disant impartiaux. En tout cas, si le traité passe, cela aura pour conséquence la limitation de la capacité des gouvernements à légiférer dans certains secteurs comme la sécurité des travailleurs, l’environnement, la protection des consommateurs, la santé publique. Dans les précédentes zones de libre échange où ce type de mécanisme est déjà mis en place, les conséquences sont désastreuses pour les réglementations nationales.

Ce qui est très grave, c’est que la Convention de Vienne sur le droit des traités signée en 1969 par 66 pays reconnaît que les traités priment sur le droit national y compris la Constitution. Les entreprises multinationales et les lobbyistes l’ont très bien compris en d’autres termes, les loups sont dans la bergerie. Les lobbies se sont donné pour mission de proposer de nouvelles lois ou, du moins, empêcher l’adoption de lois susceptibles de nuire aux intérêts des multinationales qu’ils représentent. Et ils sont très fort : aujourd’hui, ce sont eux qui réglementent les gouvernements et non l’inverse. Et tant pis pour l’intérêt général,  la protection sociale, la santé, etc.

Les entreprises multinationales, guidées par le profit, se sont ainsi arrogées des pouvoirs qui étaient auparavant réservés aux élus. Elles ont conclu avec les gouvernement une sorte de pacte en vertu duquel ces derniers se montrent toujours plus accommodants et elles, toujours plus exigantes. Leur stratagème le plus pernicieux consiste à noyauter les gouvernements et à démanteler la protection des citoyens par le biais de traités de libre-échange. C’est pourquoi, il faut tout faire pour que le TAFTA n’aboutisse pas.

Comment ?
Seule un mobilisation citoyenne importante avec une forte pression sur les députés européens et les élus peut faire échouer le processus.
En effet, si l’accord est conclu, il devra être ratifiés par les 28 gouvernements européens. Cela peut se faire par un référendum ou un vote du Parlement.
La ratification du CETA, accord de libre échange entre le Canada et l’Union Européenne, le petit cousin du TAFTA, conclu en 2014 qui nourrit les mêmes critiques doit avoir lieu cette année. Elle pourrait faire office de répétition générale. D’ores et déjà, le Canada et la Commission européenne ont proposé une nouvelle version du traité comportant une remaniement en profondeur du chapitre concernant les tribunaux arbitraux. Ils seraient abandonné au profit de l’ICS (Investment Court System), une court permanente composée de 15 juges mandatés pour 5 ou 10 ans qui pourront être récusés par les parties en cas de conflit d’intérêts avéré.

Mais même si la partie la plus inacceptable du traité a été revu, il reste trop de points inadmissibles entre l’harmonisation des normes et le Tisa. Alors, en tant qu’individu, on peut se déclarer hors TAFTA en signant l’appel du collectif Tafta. Les collectivités locales comme la commune de Jouet-sur-l’Aubois peuvent se déclarer symboliquement hors Tafta à l’issue d’un vote du conseil municipal. Et puis bien sûr, il faut continuer à en parler autour de soi. Car beaucoup de gens ne savent toujours pas ce qu’est le TAFTA et quelles onséquences il risque d’avoir sur leur vie.

A lire :
Docteur TTIP et Mister Tafta par Maxime Vaudano, éditions Les petits matins, 12 €
Les usurpateurs – comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir ? par Susan George, éditions du Seuil, 17 €

Sur le web :
Collectif Stop-Tafta
Le blog de Maxime Vaudano
☞ Les sites Basta mag et  Reporterre  suivent les négociations et proposent un ensemble d’articles remarquable.


14 mars 2016 © Danièle Boone