Le dernier livre de Baptiste Morizot paru chez Actes Sud est limpide : il apporte un regard nouveau sur l’interprétation des peintures et gravures réalisés par les hommes préhistoriques.
L’auteur s’est interrogé sur ce que veut dire voir au Paléolithique. Féru de pistage, le philosophe parvient à construire une nouvelle hypothèse lié à son expérience sur le terrain.
A priori, aucun des paléontologues qui ont théorisés sur les peintures pariétales animales n’ont cette connaissance. D’une certaine manière, Morizot s’est mis dans la peau d’un chasseur cueilleur pour lequel il était important de pouvoir reconnaître les grands animaux à la fois pour réussir leur chasse et se nourrir mais aussi pour s’en protéger. Et c’est là qu’intervient le « jizz »!
☞ Le terme « jizz » dans l’usage ornithologique sert à qualifier l’impression ou la sensation instantanée qui permet d’identifier un oiseau de manière intime sans que la conscience n’ait eu le temps de voir et d’analyser les différentes composantes de son anatomie en d’autres termes sans pouvoir déterminer précisément les critères d’identification décrits dans les guides. Ces derniers nécessitent souvent l’utilisation de jumelles, accessoire évidemment inconnu chez nos ancêtres.
Baptiste Morizot considère que les peintures d’animaux dans les grottes relèvent de cette expérience. « Voir émerger les animaux dans la pierre, et les saisir tels qu’on les jizze dans la steppe, cette expérience paréidolique serait donc fondement des images en abris-sous-roches et en grottes. » Il note notamment que sur deux cents siècles, à des milliers de kilomètres les uns des autres, les hommes préhistoriques ont eu recours à une même manière de représenter les animaux : « omniprésences des profils, prééminence du contour, amincissement des membres, pas de sol, pas de paysage, fragment d’animaux. » Il les appelle des «.images-jizz ».
L’idée maîtresse du livre lui est venue en 2017 à la suite d’une expérience sensorielle après un séjour de pistage d’une quinzaine de jours au Yellowstone National Park dans le Montana. Il a littéralement vu surgir les animaux dans la pierre. Plusieurs d’années de lecture, d’enquêtes, de visites de grottes, de réflexions ont été nécessaires pour mener à bien cet ouvrage.
S’il a intitulé son livre « le regard perdu », c’est qu’il considère que les humains d’aujourd’hui, de plus en plus dénaturés, n’ont plus cette connaissance quasi instinctive du monde animal, et c’est pourquoi l’art pariétal apparaît si mystérieux. Quelques naturalistes dont je pense être pratiquent le « jizz » sans forcément le nommer. La démonstration de Morizot est tout à fait convaincante. Il ne renie pas pour autant les interprétations précédentes des peintures pariétales notamment celle de Le Quellec basée sur le mythe de « La caverne originelle ». Sa réflexion concerne en effet le « comment » et non le « pourquoi » les hommes préhistoriques ont peint et graver sur la pierre. À lire absolument.
Le regard perdu – À l’origine de l’art pariétal, éditions Actes Sud, 272 pages, 23 € – www.actes-sud.fr