Mobilisez vous pour les «nuisibles »


En devenant éleveur et agriculteur, il y plus de 10 000 ans, l’homme a dû protéger ses bêtes et ses cultures des prédateurs. De son point de vue d’humain, les animaux sauvages sont devenus des concurrents à éliminer. Hélas rien a changé, malgré l’évolution des connaissances scientifiques qui en montre l’aberration, la séparation du vivant entre « utiles » et « nuisibles » perdure que ce soit du point de vue faune ou botanique.

Tous les trois ans, la commission départementale pour la chasse et la faune sauvage (CDCFS) établit la liste des « nuisibles » ou plus exactement des « animaux susceptibles de faire des dégâts » selon les nouveaux termes de la loi qui est ensuite validée par le ministère de l’écologie. Entre les deux, une consultation publique qui est en ce moment puis l’arrêté est publié ☞ voir le projet d’arrêté. Si vous aimez la faune sauvage, si vous êtes inquiet face à l’effondrement de la biodiversité, si, comme moi, vous pensez que cette liste noire est d’un autre âge et indigne, exprimez vous avant le 27 juin. Vous éviterez le massacre inutile de près de 2 millions d’animaux d’ici juin 2022. Vous trouverez comment participer sur le site de l’Aspas ☞ ici avec des exemples pour argumenter votre réponse ou directement sur le site du ministère ☞ ici.

Pour mieux comprendre l’enjeu de cette consultation, je vous invite également à lire ci-dessous mon article paru dans le Traîne-Buisson, le journal de Nature 18, association pour la protection de la nature et de l’environnement du Cher.

☞ Vous avez dit nuisible ?

La destruction des « nuisibles » est apparue dans les textes légiférant la chasse sous Charlemagne. Ils sont devenus une catégorie administrative à part entière sous Henri IV. Au XVIIIème siècle la loi encourage les habitants des campagnes à détruire les malfaisants, puants, vermine et autres rampants avec un système de prime. Mais la réglementation de limitation des prédateurs s’organise vraiment avec la loi sur la chasse du 3 mai 1844. Ces règles perdureront jusqu’en 1976 pour ce qui concerne la classification des espèces et jusqu’en 1988 pour la destruction par les particuliers. Rappelons que l’écureuil roux a été inscrit sur cette liste jusqu’en 1976. 

Depuis la loi « biodiversité » du 8 août 2016, le terme «nuisibles » est remplacé par « espèces non domestiques » et « susceptibles de causer des dégâts ». Notons qu’au terme « sauvage » qui fait peur, a été préféré le terme de « non domestique ». Le terme de « nuisible » devenu politiquement, sociologiquement, culturellement inacceptable a disparu de tous les textes législatifs et réglementaires, mais, de fait, malgré ce compromis sémantique, rien n’a changé. L’homme s’octroie toujours le statut de grand ordonnateur de la nature. Inscrire une espèce sur la liste quelque soit le terme apporte une légitimité au droit de la gérer et bien souvent de la détruire sous prétexte de la réguler. Pour chacune des espèces classées, les modalités de sa destruction sont précisées : chasse à tir, piégeage, déterrage, etc. et ceci toute l’année.

Une notion controversée

Fra Angelico
La notion de « nuisible » est profondément ancrée dans les mentalités, ce qui explique sa persistance depuis les temps anciens dans le droit, dans les pratiques et les représentations. Fra Angelico représente le renard mangeur de poule dans une « Thébaïde » peinte vers 1420. Force est de constater que cette réputation colle toujours à la peau de notre beau rouquin ! Pour tenter de tenir à l’écart l’animal sauvage dont les dommages ne sont pas forcément fantasmés, l’homme a éprouvé le besoin de séparer les mondes en inventant cette notion d’animal nuisible qui n’existe pas dans la nature. Dans son ouvrage « Le politique », Platon explique que la chasse est née pour que l’ordre règne dans la nature et que l’homme puisse survivre à ses dangers. 

Séparer symboliquement les espèces animales en catégories selon la dualité manichéenne du bien et du mal est une manière de désactiver la peur de perdre le contrôle. Cette notion d’animal « nuisible » oppose les chasseurs qui défendent l’idée selon laquelle certains animaux indésirables nuisent à la société et doivent par conséquent être détruits et les protecteurs de la nature pour qui l’idée même d’une séparation entre animaux « utiles » et « nuisibles » est une aberration écologique. 

Comment s’effectue le classement ?

Les dossiers à charge préparés par la fédération de la chasse sont discutés en  CDCFS par une formation spécialisée constituée de cinq personnes représentant les piégeurs, les chasseurs, les intérêts agricoles, la compétence scientifique (un vétérinaire) et les associations agréées de protection de l’environnement (moi même pour N18). Depuis la loi biodiversité de 2016, pour qu’une espèce soit classée, elle doit répondre à au moins un des cinq critères suivant : 

1 – dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvage et de la conservation des habitats naturels
2 – pour prévenir les dommages importants, notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriétés
3 – dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques
4 – pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique
5 – pour des motifs qui comporteraient des conséquences primordiales pour l’environnement

Des données à relativiser

Renard
Certes les données fournies par les chasseurs doivent être « fiables, significatives et probantes » mais vouloir à tout prix justifier la régulation peut engendrer des dérives. Ainsi, par exemple, le calcul du montant des dégâts dans les élevages (témoignage sur l’honneur des victimes) est effectué à partir des tarifs de la Ferme de Beaumont, incontestablement les plus cher, et non pas ceux des coopératives qui sont un tiers en dessous à minima. Il faut savoir que pour être classé pour ce motif, les dégâts doivent s’élever au minimum à 10 000 € par an par espèce. Quand aux dégâts sur la faune sauvage, ils sont établis à partir des barêmes fournis par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) aux tribunaux pour juger des braconniers. Peut-on comparer un acte médité et malveillant d’un homme à celui d’un prédateur dont c’est la biologie ? Par ailleurs, comment distinguer la fouine de la martre surtout lorsqu’on l’accuse après son passage. Les deux animaux coupent les têtes des volailles de la même manière. Or la martre semble largement plus accusée d’être responsable dans les poulaillers que la fouine qui serait davantage spécialisée dans la destruction des isolations !

« La présence des espèces doit être significative » mais il n’existe à l’heure actuelle aucun propocole scientifique qui permettrait des données fiables. La présence d’une espèce est justifiée à partir des indices kilométriques d’abondance relevés par les chasseurs et les données de piégeage et de déterrage. Pour ce qui concerne les mustélidés, l’ONCFS reconnaît que ces petits carnivores étant très discrets, il est difficile de connaître leurs effectifs. Il convient donc de considérer toutes ces données avec prudence. C’est d’ailleurs sur leurs faiblesses que les associations de protection de la nature, l’ASPAS en première ligne, tirent leurs arguments pour les contentieux. Nos voisins de la Nièvre ont ainsi pu faire déclasser la pie en 2017 par le Conseil d’État. 

Le cas du geai des chênes dans le Cher

Geai des chênes
Un animal peut également être classé seulement si il est susceptible de détruire une espèce protégée. Il y a quatre ans, les chasseurs de notre département avaient tenté de faire classer le putois sous prétexte qu’il détruirait le sonneur à ventre jaune. Nature 18 chargé du suivi de cette espèce s’y était opposé : aucune étude ne prouve une prédation suffisamment importante pour mettre en danger l’espèce. Cette année, rebelote mais avec les sternes. Ces oiseaux protégés nichent sur les îles de l’Allier et de la Loire. Le putois irait manger leurs œufs et leur progéniture. Il n’en fallait pas plus pour demander son classement sur toutes les communes qui bordent la Loire et l’Allier. Le vote des cinq membres a été en faveur du putois mais pas du geai mis en accusation pour les mêmes raisons et sur les mêmes communes. Les crues et les humains amateurs de canoë qui s’arrêtent, voire campent sur les îles sont les vrais responsables des échecs des nichées de sternes, pas le geai, ni le putois ! Le ministère validera-t-il cette demande ? Nous aurons la réponse en juin.* Quoiqu’il en soit, le classement d’une espèce uniquement sur le fait qu’elle détruirait une espèce protégée, sans réelle preuve, est scandaleux. Espérons que des jurisprudences apparaissent rapidement afin de mettre fin à cet argument recherché avec zèle par les chasseurs.

Comment vivre ensemble ?

Un agriculteur qui voit ses semences englouties par les corbeaux, un producteur de fruits victime d’une bande d’étourneaux, un particulier qui découvre ses poules tuées… On comprend leur désarroi mais pourquoi stigmatiser des animaux, voire en faire des boucs émissaires comme le renard, sans jamais tenir compte de ce que, par ailleurs, ils apportent (services rendus par la nature). 60 % de vertébrés ont disparu en quarante ans. Vouloir conserver à tout prix ces listes d’un autre âge qui donne avant tout le droit de détruire des animaux sauvages n’est-il pas un non sens ? N’est-il pas temps de dépasser cette notion de « nuisible » qui stérilise tout débat ? Cela  permettrait de trouver d’autres modes d’action que la destruction pour tendre vers une « coexistence » des hommes et du sauvage car, n’en doutons plus, il y a urgence.

☞ Plus d’infos
Les espèces susceptibles d’être classées sont divisées en 3 groupes:
● Le 1er groupe (G1) comprend six espèces exotiques envahissantes classées sur l’ensemble du territoire: chien viverrin, raton laveur, vison d’Amérique, ragondin, rat musqué et bernache du Canada.
● Le 2e groupe (G2) regroupe dix espèces classées par arrêté ministériel triennal établissant les listes départementales : belette, putois, fouine, martre, renard, corneille noire, corbeau freux, pie bavarde, geai des chênes, étourneau sansonnet.. Dans le département du Cher seuls la belette et le putois ne sont pas classés, le cas du geai étant en suspens.
● Le 3ème groupe (G3) comprend le lapin de garenne, le pigeon ramier et le sanglier, espèces pour lesquelles le statut est défini par arrêté préfectoral annuel.

☞ Pour aller plus loin
Sales bêtes ! Mauvaises herbes ! Nuisibles, une notion en débat sous la direction de Rémi Luglia. Ce livre rassemble les interventions du colloque sur ce sujet qui a eu lieu en 2017. Presse Universitaire de Rennes (PUR), 25 €
● Le site de ASPAS – association pour la protection des animaux sauvages – www.aspas-nature.org

Participez à la consultation publique sur le classement en cours


10 juin 2019 © Danièle Boone