La ferme maraîchère du Bec Hellouin conduite en permaculture est une des plus naturelles et aussi une des plus productives de France. L’étude de l’INRA sur les performances économiques du maraîchage biologique en permaculture qui vient d’y être réalisée sur cinq ans, montre que dans ces conditions de rendements, 1000 m2 permet de dégager un vrai salaire. C’est la preuve que les microfermes qui se multiplient dans le monde sont viables contrairement à ce qu’affirment les adeptes de l’agriculture industrielle. A l’heure où la ville ne cesse de s’agrandir et d’absorber les surfaces agricoles, elles pourraient même être « la » solution. A la campagne où l’espace est moins compter, elles permettraient de libérer de la place et de planter des arbres, notamment fruitiers. Ces pratiques de production agroécologiques sont généralement associées à des formes originales de commercialisation (Vente directe, AMAP, etc), garantissant une moins grande sensibilité aux incertitudes des marchés.
☞ Voilà longtemps que j’avais envie de me rendre à la ferme du Bec Hellouin. Je n’ai donc pas hésité une seconde lorsque Carine Mayo, la présidente de l’association de journalistes (JNE) dont je suis membre, nous a proposé d’y organiser une visite. Lorsqu’on découvre une ferme en permaculture, on a d’abord l’impression d’un sacré fouillis. En fait, tout est réfléchi mais inspiré de la nature sauvage. Plus on renature le site, plus les récoltes sont abondantes. L’observation est un des points essentiels de ce savoir faire.
L’agriculture devrait être un art et laisser une place à l’intuition et la créativité. Ici, nous sommes dans l’île entourée d’une mare en forme de cours d’eau. Un espace de repos ou de méditation central est entouré de légumes (poireaux, bettes, fenouil, panais) et de fleurs comestibles (capucine, bourrache). Il y a aussi le jardin mandela et la forêt jardin. La beauté de la ferme du Bec Hellouin est apaisante pourtant, on est au cœur d’un lieu de production.
Charles Hervé-Mayer, le fermier du Bec Hellouin, n’est pas un homme ordinaire. Il a fait le tout du monde avec son bateau, Fleur de Lampaul, un vieux caboteur à voile breton, à la rencontre des peuples premiers. Un voyage de trois ans, avec à bord, deux équipages de 10 enfants et trois éducateurs. A chaque escale, ils partageaient durant deux à trois semaines la vie de familles du bout du monde. Alors après 22 ans de mer, la question s’est posée: comment vivre ? La réponse « en devenant paysan » s’est imposée. « Une ferme, c’est un peu comme un bateau, si tu fais des conneries, tu assumes.«
De fait, Charles et son épouse Perrine, ont créé une ferme fantasmée. Ils rêvaient d’être autonomes, de nourrir leur quatre filles avec de bons produits et d’être en osmose avec la terre dans une quête d’absolu et de beauté. Mais assez rapidement, le manque d’engagement leur a pesé. C’est ainsi qu’en 2006, ils sont devenus agriculteurs professionnels. Ils ont commencé en bio traditionnel. Pas si facile. Ils se retrouvent assez rapidement au bord de la banqueroute. C’est alors qu’ils sont passé à la permaculture. Charles puisait son inspiration dans tout ce qu’il avait découvert auprès des peuples premiers. Et tout a été très vite: l’étude avec l’Inra, la création d’un centre de formation en permaculture, etc. Et les voilà à la tête d’une entreprise avec douze salariés et des chercheurs et des stagiaires quasi en permanence. Ainsi la ferme du Bec Hellouin est devenue un lieu de recherche et de formation unique au monde.
« Mais la ferme reste une vraie ferme, insiste Charles. Elle est sacrée. » C’est sa crédibilité, son arme la plus efficace. Il parle rendement et en apporte la preuve. Pour convaincre les gens à se convertir, il faut leur en donner l’envie. Savoir qu’ils vont pouvoir bien gagner leur vie est extrêmement important. « Je pense que dans quelques années la permaculture sera au programme des écoles d’agricultures et des grandes écoles comme en Angleterre, en Irlande ou en Australie. »
Pour obtenir un fort rendement sur un petit espace, il faut faire plusieurs rotations par an, quatre ou cinq en extérieur et jusqu’à huit sous la serre alors qu’en mode de production traditionnelle, on dépasse rarement quatre. Cela est possible parce que les plantes sont associées et se développent à leur rythme. On peut récolter un rang de salade avant que le rang de choux ait pris toute la place. Les concombres poussent au milieu de la vigne. Et puis on plante serré, jusqu’à vingt rang de carottes sur une largeur de 80 cm. Mais il y a une contrainte : aucune mécanisation n’est possible ou plutôt, comme le remarque Charles, « c’est la présence de l’outil mécanique qui contraint » car, dès qu’on y a recours, il faut des planches uniformisée.
Aussi, à la ferme du Bec Hellouin, presque tout est fait à la main donc sans recours au pétrole. Charles enquête sur les outils du passé et comment les utiliser. Il a appris à faire des meules comme autrefois et a créé une forge pour créer ses propres outils. En effet, si les outils anciens étaient si efficaces, c’est qu’ils ont été pensé pour résoudre un problème bien particulier. Sa brouette atelier (photo) est une astuce afin de ne pas avoir à revenir sans cesse chercher l’outil manquant. Je crois que je vais m’en inspirée! Des billots de bois répartis un peu partout, un vieux hachoir trouvé en brocante, et voilà de quoi débiter les végétaux qui enrichissent en permanence les paillis. Il n’y a aucune velléité de revenir en arrière mais d’aller vers une agriculture sans pétrole, la seule qui puisse répondre au défi climatique et sociétal actuel.
En permaculture, on plante serré. Cet ingénieux plantoir maison permet d’utiliser l’espace au plus juste. Il existe quelques variantes selon les besoins en espace des légumes.
La campagnole inventée à la ferme avec un jeune artisan local est une grelinette améliorée. Même utilisation, mais un système ingénieux émiette en même temps la terre évitant le deuxième passage pour casser les mottes.
Les animaux font partie de la ferme, le chien bien sûr, un Terre-Neuve heureux car, en plus de la rivière, il y a de l’eau partout. Vingt-cinq mares ont été creusées sur les vingt hectares de la ferme, des réservoirs de vie bénis par les villageois qui ne sont plus inondés lors des fortes pluies qui dévalaient les collines.
Les animaux ont tous un rôle dans un écosystème en bonne santé. Le chien est chargé de rassembler le troupeau de mouton lorsque c’est nécessaire. Les poules fournissent de l’engrais et de la chaleur. Un poulailler installé au cœur de la serre permet de gagner quelques précieux degrés, surtout l’hiver, pour les légumes installés juste au-dessus.
Les poneys ne sont pas seulement d’apparat. Il leur arrive d’être attelé et de faire ainsi leur part. Toute cette symbiose entre les êtres humains, les animaux et les plantes est un héritage de nos lointains ancêtres que les peuples premiers ont su préserver. A nous de savoir la retrouver.
« Nos légumes modernes sont des caniches. Ils sont humano dépendants » affirme Charles. Selon la FAO, 30% des terres arables de la planète sont détruites mais aujourd’hui, on sait qu’on peut guérir la terre tout en produisant beaucoup. Le champ des possibles est très vaste. Y’a plus qu’à… chacun à son petit niveau, chez soi, même en ville. Lorsque je vivais à Paris, j’avais des tomates cerises sur le rebord de ma fenêtre, du romarin et de la lavande sur une autre. Les abeilles rendaient visite à mes fleurs. Et un jour, j’ai découvert une coccinelle qui dévorait les pucerons qui menaçaient sérieusement la santé de mon persil. Son intervention a été rapide et efficace. Oui Charles, vous avez raison, le champ des possibles est très vaste. Et votre belle énergie communicative fait des miracles. Tout est finalement si simple : « on prend soin de la terre et elle prend soin de nous« !
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23/09/2015 © Danièle Boone – Toute utilisation même partielle du texte et des photos est soumise à autorisation.