Prédateurs: chronique d’une disparition annoncée

Le département du nord se prépare aux Ch’tis fox days. Le nom résonne comme une fête mais cela sent surtout le sang. La semaine du 17 au 23 février sera entièrement consacrée à la chasse aux renards. Tout sera permis : déterrage, piégeage, tirs… Encourager des actes capables de causer d’immenses souffrances à des créatures vivantes est un acte de pure barbarie, une déchéance pour notre humanité. Cette initiative revient à Jean-Marc Dujardin, le nouveau président de la FDC 59 (Fédération départementale de chasse). Je suppose qu’un cabinet de communication a été mis à contribution pour ce concept qui résonne très Country.


Photo de Elisabeth Faivre-Thévenet parue dans mon livre « Voir la faune »


☞ Les chasseurs ont de l’argent, cela on le savait, mais depuis que la Cour des comptes s’est penchée sur le lobby, on en a la confirmation. 13 millions d’euros en budget annuel pour la Fédération nationale des chasseurs. Dans une société où les valeurs sont avant tout sonnantes et trébuchantes, les chasseurs prennent tous les droits y compris celui de claironner haut et fort la plus grande des âneries : il faut se débarrasser de tous les prédateurs. Le renard du 17 au 23 février puis, promet Jean Marc Dujardin, au printemps, ce sera le tour des corneilles.

Longtemps, par crainte des attaques et des dommages sur le bétail, les hommes ont éliminé les grands prédateurs. Puis ce fut pour les manger (requins) ou se divertir (lions). La destruction de leur habitat a poursuivi leur déclin. Aujourd’hui, une bonne partie de ces animaux partage le triste privilège d’être inscrite sur les listes de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).  Et pourtant leur rôle dans la nature est essentiel dans la nature. Les scientifiques ont montré que sans super prédateurs pour éliminer les plus petits prédateurs, les effets négatifs se propagent en cascade et affectent toutes sortes de groupes (ongulés, rongeurs, insectes, etc.). On sait désormais que plus les grands prédateurs déclinent, et plus la prévention et l’inversion du phénomène seront coûteux et difficile. La seule intervention humaine ne peut suffire car la peur du prédateur est aussi un facteur important du comportement des mésoprédateurs.

Les scientifiques ont découvert aussi que leur disparition a des conséquences beaucoup plus importantes que ce que l’on pensait sur la propagation des maladies, le développement des espèces invasives, la séquestration du carbone ou même les incendies. Ainsi par exemple, en Afrique subsaharienne, la disparition des lions et des léopards a provoqué une surpopulation des babouins olives, une de leur proie favorite. Les singes se sont rapprochés des hommes et leur ont transmis des parasites intestinaux. De même, on a compris aussi maintenant que les grands prédateurs n’ont pas seulement un impact sur les populations d’herbivores, mais, par ricochet, aussi sur la flore.  Une équipe de chercheurs de l’université de Montréal a même récemment montré que, pour mieux résister aux variations climatiques extrêmes, les écosystèmes ont besoin des prédateurs. « En réintroduisant le loup dans le parc national de Yellowstone, les populations de charognards étaient moins sensibles aux effets d’un épisode de réchauffement causé par El Niño. Avant cette réintroduction, l’abondance des charognes dépendait des conditions climatiques tandis qu’elle est maintenant dépendante des loups. »

Voilà mais dans notre bon pays de France, et plus précisément chez les Ch’tis, des hommes qui se pensent propriétaire de la nature, lance à grand renfort de publicité, une invitation au massacre sous prétexte de régulation alors que cette nouvelle tuerie ne fera qu’augmenter le déséquilibre. « A mesure qu’il progresse vers son objectif annoncé de conquête de la nature, écrivait Rachel Carson en 1962, l’homme laisse derrière lui un impressionnant sillage de destruction, affectant la Terre où il habite et les êtres qui partagent avec lui cette demeure » Vouloir contrôler la nature est, en effet,  une arrogante prétention. Mais l’homme qui se prend de plus en plus pour Dieu, oublie qu’il est lui-même le plus grand de tous les prédateurs que dans cette chronique de disparition annoncée, il est directement concerné. Alors, pour reprendre le titre pas si boutade que ça de Yves Paccalet, « L’humanité disparaîtra, bon débarras ! »

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☞ L’ASPAS (association pour la sauvegarde et la protection des animaux sauvages) dont je suis membre, se bat pour éradiquer des pratiques d’autant plus inadmissibles qu’avec les progrès de l’éthologie, nous ne pouvons plus nier que les animaux sont des êtres sensibles.
☞ L’association organise une conférence de presse intitulée Plaidoyer pour le renard – beau et utile, vive le goupil! le samedi 15 février à 14 h au Café Citoyen de Lille avec Jean-Marie Gourreau, vétérinaire, Denis-Richard Blackbourn, docteur en écoéthologie et des responsables d’associations de protection de la nature.
Au programme:
Pourquoi faut-il protéger le renard
Nuisible, mais à qui exactement
Rage et échinococcose alvéolaire: la chasse aux idées reçues
Un prédateur indispensable, allié de l’agriculture
Manifestation pour protéger le renard. Grand rassemblement le 15 février à 14h30, place du Théâtre à Lille. Rejoignez-nous.
www.aspas-nature.org

Voir
Un regard sur la nature, le blog de Elisabeth Faivre-Thévenet

A lire :
☞ Printemps silencieux de Rachel Carson, éditions Wildproject, 20 €
☞ L’humanité disparaîtra, bon débarras! de Yves Paccalet, Arthaud, 15 €
☞ Changements climatiques : le rôle des prédateurs –  Université de Montréal
et sur ce blog:
Renard, alerte à la désinformation


06/02/2014 © Danièle Boone – Toute utilisation même partielle du texte est soumise à autorisation