Quel scandale ! Le sujet fait la une de tous les journaux. Et on enlève à tour de bras tout produit de la marque findus suspecté de contenir de… la viande de cheval. Comme si cette dernière était un poison mortel ! On mélange tout comme d’habitude. Certes, l’acheteur est en droit de savoir ce qu’il achète mais cet acheteur regarde-t-il les étiquettes ? Et même lorsqu’il sait qu’un produit alimentaire est bourré d’additifs chimiques qui ruinent sa santé doucement mais sûrement, il remplit quand même son caddy. Comment est-ce possible scande-t-on dans la presse mais personne ne s’est interrogé sur le pourquoi. Seul José Bové a signalé que depuis l’interdiction de circulation des équidés sur les routes, les cours de la viande de cheval se sont effondrés en Roumanie mais l’info est sibylline pour toute personne non informée. Derrière ce fait divers se profile, en effet, toute l’histoire de la Roumanie agricole traditionnelle en train de disparaître et de la redistribution des terres au profit d’hommes d’affaires sans scrupule.
☞ J’ai eu l’occasion d’aller en Roumanie en 2007, juste après l’entrée du pays dans l’Union Européenne. J’étais en Transylvanie, dans les Carpates, avec le sentiment d’être un siècle en arrière. Les villages n’étaient pas encore reliés au monde : pas d’électricité, pas de téléphone et pour seul moyen de locomotion, le cheval. Que savaient de l’Europe les habitants de ces terres oubliées de la modernité? On leur avait dit qu’ils auraient bientôt l’électricité, la télévision, des routes qui leur permettraient d’aller se faire soigner en ville. C’était une perspective alléchante. Et ils espéraient sans doute secrètement qu’ainsi l’exode de leurs enfants cesserait.
A l’époque, la Roumanie comptait environ 4 millions de petites fermes d’une surface moyenne de 2,5 hectares. La population agricole active était pourtant déjà en baisse. Elle représentait 35% de la population roumaine en 2003 et seulement 28% en 2008. Le gouvernement incitait les petits paysans à se séparer de leur terre. Pour chaque hectare cédé, il recevait une rente viagère annuelle de 100 €. La modernisation du secteur agricole était une des conditions pour rejoindre l’Europe. Ainsi, comme chez nous après la guerre, la réduction du nombre de paysans a été froidement programmée. Des associations comme celle du Prince Charles, très présente alors en Roumanie, tentaient au nom de la biodiversité (La création d’exploitations plus grandes nécessaire à l’agriculture industrielle entraîne une modification profonde du paysage et des écosystèmes : arrachage des haies, irrigation, etc.) de dissuader les paysans de vendre et les subventionnaient pour cela.
Je n’ai pas de chiffres plus récents sur l’évolution de la population agricole mais il est probable qu’elle a continué à diminuer au moins avec le même rythme voire à un rythme accéléré. Le « progrès » est en effet inexorablement en marche notamment avec les investissements étrangers. 800 000 hectares sont désormais la propriété d’allemands, de hollandais, de suisses et… de chinois. Le comble, c’est que les ressortissants européens reçoivent des aides à l’installation donc à la destruction du tissu agricole traditionnel. Si un certain nombre d’entre eux, les suisses notamment, développent une agriculture biologique, les terres acquises par les étrangers sont principalement cultivées avec moult intrants et produits phytosanitaires. Stelian Fuia, ministre de l’agriculture depuis février 2012, a fait une brillante carrière chez Monsanto et Valeriu Tabara, le précédent, avait également travaillé pour le semencier. Pas étonnant que la Roumanie prône la culture, interdite en Europe, du soja OGM et le développement du biocarburant. Le pays cultivait plus de 5 000 hectares de soja OGM avant de l’interdire en 2007 lors de son entrée dans l’Union européenne.
Et les chevaux dans tout cela me direz-vous ? La Roumanie compte environ un million de chevaux de trait qui travaillent toujours – enfin je devrais sans doute utiliser l’imparfait car, depuis 2010, l’article 71 du code des routes nationales y interdit la circulation des équidés. Il faut savoir que les routes nationales sont les routes qui vont de village en village. Certaines ne sont même pas encore bitumées. Elles ont été nommées « nationales » pendant l’ère communiste car elles étaient les routes principales sous entendu les seules routes. Les villageois les empruntaient donc en voiture attelée pour aller à leur champ, dans la forêt, au marché. Depuis l’interdiction, les amendes pleuvent voire la confiscation des animaux malgré l’intervention d’associations qui ont demandé que cette interdiction ne concerne que les routes à grande circulation. Donc, entre la disparition des petites fermes et cette interdiction, bon nombre de chevaux sont devenus inutiles. Alors, pour économiser le prix de leur nourriture, les paysans vendent leur vieux compagnons qui sont abattus et, visiblement, transformé en viande hachée. Et comme d’hab, il y a toujours les exploiteurs qui en profitent. Ce qui sera bientôt plus qu’une anecdote – ce genre d’infos épuise vite l’intérêt des médias – cache un drame humain : la disparition parfaitement orchestrée de la petite paysannerie roumaine et la main-mise sur l’alimentation mondiale par les industriels. La Roumanie, au sortir de l’ère communiste, leur a offert un espace presque vierge à exploiter jusqu’à épuisement. Pourtant le pays aurait pu jouer d’autres cartes : l’agriculture bio, l’agrotourisme, etc. Mais les coffres des hommes de pouvoir se seraient moins remplis. Encore une fois, c’est l’éternelle histoire du pot de terre et du pot de fer. Quelle tristesse !
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10/02/2013 © Danièle Boone – Toute utilisation même partielle du texte est soumise à autorisation